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son défaut de mémoire, le roi se mit à énumérer l’un après l’autre ces préceptes contre l’orgueil, la colère, les mauvaises pensées, etc., accompagnant le tout de commentaires et citations qui auraient mieux convenu à un prédicateur en chaire qu’à un souverain parlant au représentant d’une grande puissance, puissance voisine et redoutée. »


Religion bouddhique.

Pour bien comprendre l’importance des questions et des sentencieuses paroles adressées en cette occasion par Sa Majesté birmane à l’ambassadeur anglais, il est nécessaire de jeter un coup d’œil sur le bouddhisme, qui forme le fond des croyances religieuses du roi d’Ava et de la presque universalité de ses sujets.

Cette religion, qui compte encore, après vingt-cinq siècles d’existence, de deux cents à trois cents millions de fidèles, est née dans la vallée du Gange, six cents ans avant Jésus-Christ, lorsque Rome avait des rois et que l’Asie occidentale était soumise à Nabuchodonosor.

Gautama (le Bouddha) est un personnage historique, et quelle que soit l’idée de divinité que lui attribuent ses adorateurs, on doit l’admettre comme un grand et patriotique réformateur, qui s’éleva contre les pratiques extérieures des brahmanes, et leur substitua un code de morale plus pure.

Çakya-Mouni, Çakya-Sinha ou Gautama, le fondateur de cette doctrine, était le fils d’un souverain de Kapilawastu, petite principauté sise au nord du Gange, entre Gorakpour et Aoude, et descendant des Suryavas ou enfants du Soleil. Né en l’an 623 avant Jésus-Christ, sa jeunesse se passa dans les plaisirs. À vingt-neuf ans, la réflexion vint lui démontrer la brièveté de la vie humaine et l’illusion de ses joies ; aussitôt il abandonna ses palais, ses jardins, son faste et ses plaisirs, son épouse et son enfant, pour adopter la vie de l’ascète mendiant. Pendant six ans, il se soumit à toutes les privations, et alors, après de profondes méditations à un endroit qui s’appelle encore aujourd’hui Bouddha-Gaya, il fut miraculeusement investi des attributs qui le constituèrent Bouddha ou être éclairé. Il consacra le reste de sa vie à parcourir les Indes, expliquant les lois de l’existence, la vertu des actions méritoires, et prêchant comme la fin de toute existence, la béatitude ou l’anéantissement absolu, rendu en sanscrit par le mot nirwana et en birman par celui de nigban. À l’âge de quatre-vingts ans, il mourut entre deux arbres de sâl, dans un bois à Kusinara, cinq cent quarante-trois ans avant Jésus-Christ.

Sans entrer dans l’exposition des diverses phases du bouddhisme, de ses doctrines et des spéculations métaphysiques de ses docteurs, on peut dire que cette religion se caractérise par sa tendance à faire mépriser à l’homme les choses extérieures et à l’inciter à atteindre, par ses propres efforts, par le seul développement de ses facultés morales et intellectuelles, jusqu’à l’état divin du nirwana.

L’existence d’un Être suprême et de sa providence ne parait pas ressortir clairement et universellement des idées de Çakya et de ses apôtres. Ce qu’il y a de certain, c’est que ni les Birmans ni les Cingalais n’admettent l’Adi-Bouddha ou Être suprême des Népaulais et des anciens bouddhistes théistes de l’Inde.

La récompense et la punition se perpétuent dans la succession des existences qui passent par tous les degrés de la vie animée ; c’est là vraiment la clef de voûte du système, bien qu’il n’y ait pas, ce semble, de juge ni de directeur moral. Un destin infaillible et inexorable, qu’on pourrait appeler la force opérante de la nature, régit la destinée ascendante ou descendante de toute créature, suivant le mérite ou le démérite de la série de ses existences passées. Ceux mêmes qui ont atteint le bonheur céleste en voient la fin et doivent recommencer les vicissitudes infinies de la transmigration. Anitya, Dukha, Anatta, le Passager, la Souffrance et l’Irréel, sont les conditions de toute existence, et le vrai bien est d’en être délivré par la conquête du nirwana, état qui peut être l’absorption dans la suprême essence, suivant les bouddhistes déistes, ou, suivant d’autres docteurs, le néant absolu ; ce serait, d’après le savant sanscritiste Hodgson, le lieu et le mode dans lesquels vivent les éléments de toutes choses, en leur dernier état d’abstraction et purifiés de toutes les modifications particulières que nos sens et notre intelligence peuvent comprendre.

Le Bouddha est un être qui, dans le passé infini des âges, a conçu le désir d’atteindre ce suprême degré, afin d’acquérir la possibilité de délivrer d’autres créatures des misères de la continuité de l’existence. Il aurait pu atteindre sa liberté, il y a des myriades de siècles ; mais son libre arbitre l’en a détourné, l’a entraîné dans le cours des existences successives, et par amour pour ses semblables il a accepté d’innombrables renaissances, enduré des souffrances et des afflictions et subi des épreuves comparables aux efforts qu’il faudrait pour arracher la terre à sa base. À chaque renaissance, son désir s’emploie à ces fins ; à sa dernière renaissance dans la famille humaine et sous les signes manifestes de sa haute destinée, il embrasse la vie ascétique, atteint le but suprême et se trouve investi du pouvoir et de la sagesse d’un Bouddha. Alors les mondes innombrables de l’espace, la vue infinie du passé avec celle de toutes ses préexistences, aussi bien que celles des autres êtres, et même les pensées des hommes se dévoilent à la vue. Il est dégagé des passions et des émotions humaines. Il possède l’infaillible sagesse pour diriger les créatures dans les sentiers qui mènent au nirwana ; la nature et ses influences, le ciel et ses habitants lui obéissent. Mais il est sujet à la souffrance, à la maladie, et, quand sonne son heure, à la mort ; même après avoir acquis la qualité de Bouddha, il souffre jusqu’au trépas les peines terrestres que lui valent ses démérites antérieurs.

La vie normale de ses disciples est l’ascétisme et la mendicité. Ses conditions premières sont, comme dans l’Inde, la continence, la pauvreté, l’humilité ; suivent l’abstraction du monde, l’amour de toutes les créatures vivantes, la pratique de certains préceptes moraux, et de nombreuses cérémonies rituelles.