Page:Le Tour du monde - 02.djvu/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dizaine de mètres du mur du fond où se trouvait, à six pieds d’élévation, une porte à panneaux dont les interstices laissaient filtrer une lumière plus brillante.

Le bétel et l’eau à boire furent placés devant nous, et après un quart d’heure, que le silence, l’obscurité et notre position gênante nous firent paraître bien long, la porte glissa et nous laissa voir le prince et sa reine (ainsi qu’on l’appelle) s’asseyant sur le plancher surélevé de l’appartement intérieur, au ras de la porte.

Une porte à Amarapoura.

Cette scène, vue d’un premier plan obscur dans la vive lumière de l’appartement intérieur, et encadrée par l’ouverture de la porte au milieu de laquelle ces deux illustres personnages étaient immobiles, nous fit l’effet d’un tableau, et d’un tableau d’un caractère aussi rare que singulier.

Le prince, vêtu de brocart, coiffé d’une mitre chargée de joyaux et cachant complétement ses cheveux, nous apparut comme le type mogol le plus accentué, et nous fit une impression bien moins agréable que celle que nous avions gardée de son royal frère.

La princesse, habillée à la mode de sa parente, la grande reine, était coiffée et costumée d’une façon plus avenante que celle-ci. Ses oreilles ornées de joyaux étaient dégagées. C’était une jeune femme gracieuse et modeste, d’une physionomie aimable et intelligente, et qui semblait quelque peu décontenancée et gênée dans les plis encombrants de sa robe. Elle est la demi-sœur de son époux sans être la sœur de la reine.

Canon birman.

Un silence de quelques minutes, pendant lequel l’assemblée parut les adorer, suivit leur arrivée, et lorsqu’une attente suffisante pour établir la dignité du prince se fut écoulée, un des woons se permit d’attirer l’attention de Sa Hautesse sur nous, en rampant vers la porte et en relevant la face pour saisir un signe. Le prince ne parut pas le remarquer, mais ensuite il se détourna et fit signe à un officier, plus rapproché de nous, de commencer. Le personnage prit alors sur un siége, où l’ambassadeur l’avait déposée, la liste des présents que le gouverneur général offrait, au prince, et lut un discours préliminaire qui informait Sa Hautesse que l’ambassadeur arrivé à la cour apportait des présents pour l’Ein-she-men, ajoutant que la reine d’Angleterre les lui offrait respectueusement. Sur quoi le major Phaydre se leva et dit à mi-voix au woondouk que le lecteur devait rectifier ce sens de son discours. Après quelque échange de sourdes paroles, l’ambassadeur répéta : « Je quitte la salle si la rectification n’est immédiatement faite. » Alors le woondouk dit au lecteur : « Ce sont des présents royaux d’un roi, et vous ne devez pas vous servir du mot respectueusement. » L”officier rectifia sa phrase.

Pendant cet incident le prince, tout en conservant son immobilité, parut sensiblement ému ; la sueur perlait sur son front. Le questionnaire d’étiquette épuisé, les présents distribués, le prince se leva, sa charmante compagne le suivit ; les portes se fermèrent et les dérobèrent à notre vue. En somme cette cérémonie, dépourvue de la splendeur barbare de la séance royale, ne nous parut relevée que par la gracieuse apparition de la princesse. En traversant la cour, nous inspectâmes les canons que nous jugeâmes de fabrique européenne, quoi qu’en pût dire le woondouk ; puis nous nous arrêtâmes sous un abri où nous attendaient des rafraîchissements auxquels nous fîmes mine de goûter. Là le woon du prince s’excusa du manque de convenance survenu pendant la lecture du discours, incident que l’on devait attribuer uniquement au lecteur habitué à la formule en usage. Le major Phayre, toutefois, exigea du woon la promesse que le pauvre diable serait réprimandé.

Danse des éléphants.