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toute la fabrication, on pourrait dire toute l’industrie du pays : échafaudages, échelles, jetées et ponts, appareils de pêche, roues d’irrigation et écopes, rames, mâts et vergues, flèches et lances, chapeaux et casques, arcs, cordes et carquois, jarres à huile, jarres à eau, marmites, tuyaux de pipes, tuyaux à eau, boîtes à vêtements, boîtes de luxe, plateaux, instruments de musique, torches, balles, cordages, soufflets, nattes, papier, etc., tout cela n’est de même que bambou.

Le tissage des soies que la Chine importe à l’état grége occupe les bras d’une population nombreuse dans les faubourgs et dans la banlieue de la capitale, particulièrement des Munnipoorians ou Kathé, comme les appellent les Birmans. Cette race descend des infortunés qui furent enlevés de leur pays natal par les Birmans, au temps du roi Mentaragyri et de ses prédécesseurs ; elle constitue la majeure partie de la population de la capitale, et se trouve répandue dans presque tous les districts de la Birmanie centrale. C’est une race opprimée ; on en peut juger par ce mot que je recueillis de l’un d’eux : « Si un Birman a cinq enfants, on en prend un pour le service du roi ; à un Kathé, on les prend tous les cinq ! »

À part le bazar des soieries et celui où l’on vend les objets en laque, qui proviennent généralement de Pagán et de Nyoungoo, les magasins de cette capitale offrent peu d’intérêt pour l’étranger.

L’objet le plus remarquable du faubourg du nord est le Ye-nan-dau ou palais d’eau du roi. C’est un monument dans le style monacal, construit en bois, avec une pyasath ou flèche en bois ; il s’élève sur pilotis du sein des eaux du lac intérieur. À l’époque de l’inondation il doit être d’un aspect très-pittoresque. C’est là que le roi siégeait jadis pour assister aux courses des bateaux de guerre, mais depuis la perte des provinces du bas Irawady, d’où provenaient les meilleurs rameurs, ces jeux sont tombés en désuétude.

Deux routes conduisent au Maha-myat-muni, le temple de la célèbre idole de bronze qui, en 1784, fut apportée de l’Aracan. Il est à environ trois kilomètres de la ville. Sur les routes qui y conduisent se presse la foule des adorateurs journaliers du dieu ; le chemin est bordé sur toute sa longueur de boutiques de vêtements à bon marché, et surtout de marbriers et de fondeurs de cloches à qui les dévots assurent un débit considérable de leurs marchandises.

Une de ces routes est une chaussée remblayée, soigneusement entretenue et garnie de parapets en briques sur toute son étendue. C’est le long de cette chaussée qu’on rencontre les plus splendides modèles de l’architecture birmane et que les artistes de l’Indo-Chine ont déployé toutes les ressources du goût le plus luxueux.

Grâce aux photographies du capitaine Tripe, je puis donner au lecteur une idée assez exacte des plus remarquables d’entre ces constructions, le Maha-Toolut-boungyo (p. 277) et le Maha-comiye-peima (p. 281).

Ces deux monuments ont été construits, l’un par la reine douairière actuelle, l’autre par sa fille, la femme du roi régnant : ils sont modernes, ce qui explique leur parfait état de conservation, malgré la détérioration rapide de ces constructions tout en bois.

Dans leur enceinte sont de nombreux monastères et des chapelles ; au centre se trouve un kyoung ou sanctuaire immense d’environ cent mètres de long ; le premier et unique étage s’étale en forme de large terrasse sur laquelle les constructions dressent leurs quadruples toits. À partir du balcon, tout est doré ; larmiers, balustres et toits sont couverts de sculptures. Mais c’est surtout dans deux petits bâtiments situés près du kyoung central que les artistes birmans ont déployé tout le luxe que pouvait suggérer leur imagination.

Dans le Maha-Toolut-boungyo, le sanctuaire conserve la forme affectée aux monastères, mais il est sculpté comme le serait une châsse d’ivoire, et il ruisselle d’or et de lumière. Les traverses du soubassement sont dorées, aussi bien que les escaliers et les parapets de briques qui conduisent à la terrasse, ce que je n’avais jamais vu.

Les larmiers, découpés en gigantesques couronnes impériales, sont supportés par des dragons fantastiques qui, la tête penchée, semblent ronger les pieux qu’ils enserrent de leurs griffes puissantes, tandis que leur queue se déroule flamboyante : il nous semblait les voir s’agiter.

Les quadruples toits, couverts de zinc, rayonnaient comme s’ils eussent été d’argent, et les murs incrustés de mosaïques, de verre et de dorure, étincelaient comme une mer de lumière couverte d’un filet d’or.

Les échelles même qui servent à monter d’un toit à l’autre pour les réparations quotidiennes étaient couvertes d’or et de verreries.

Le long du soubassement régnaient des sculptures assez originales, offrant les types de différentes races : des Birmans, des Chinois, un Anglais. Ce dernier, avec son chien et son fusil, formait une caricature qui ne manquait pas de vérité. À l’intérieur, on voyait aussi des scènes fort curieuses d’animaux conversant entre eux et nous rappelant les illustrations de La Fontaine par Grandville (voir page 276).

Le Maha-comiye-peima, dont le plan général ressemble à la construction dont nous venons de parler, nous fut annoncé comme plus fastueux encore par les Birmans ; nous ne voulûmes pas les croire d’abord, mais il fallut nous rendre à l’évidence.

Dans ce monument, les trois clochers ne sont pas dorés, sans doute par suite des guerres civiles de 1852. Le contraste de l’harmonie éteinte du bois de teck avec les masses d’or produit un effet charmant. Les soubassements, au lieu d’être complétement dorés, sont incrustés de panneaux de laque écarlate, avec des bordures sculptées et dorées. Les piliers se rattachent les uns aux autres par des filigranes d’or en forme de croissant, d’un travail et d’un goût exquis. Les encorbellements qui soutiennent les larmiers des terrasses n’ont pas le style de ceux du Toolut-boungyo ; ce sont des hommes à têtes d’animaux : éléphants, taureaux, etc. Ces statues, toutes dans différentes attitudes de danse, sont couvertes de dorures et de mosaïques en glaces et en cristaux.