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Une immense chambre de plus de vingt-cinq mètres de long nous servait de salle à manger : de grands vases de Chine garnis d’arbres artificiels couverts de fleurs et de fruits la décoraient. Ces derniers imitant des mangues, des pêches, des ananas ou autres fruits, étaient bons à manger ou au moins destinés à l’être, car on les remplaçait tous les jours ; c’étaient des sucreries ou des pâtes de fruits suspendues aux branches par des fils de fer. Les arbres, assez bien imités d’ailleurs, formaient une décoration agréable.

Le plancher de la salle était couvert de tapis chinois en feutre imprimé ; nous avions aussi des tables, des chaises, un punka orné de grandes lanternes chinoises dans lesquelles on mettait tous les soirs de petites bougies indigènes en cire jaune, et qui n’éclairaient guère mieux que des veilleuses.

Le long de ce salon régnait une verandah ayant vue sur un grand portique, immense abri circulaire avec un toit conique supporté par un seul mât placé au centre. Sous cet immense parapluie se trouvaient et le théâtre, et les marionnettes, et la musique destinée à nos plaisirs, ou plutôt à ceux de notre garde d’honneur, car ils ne nous causèrent jamais que des insomnies.

Types de grands seigneurs et hauts fonctionnaires birmans. — Dessin de Morin d’après H. Yule.

Dans notre portique-théâtre et sur la verandah brillaient d’énormes jarres d’argent massif où deux hommes auraient logé sans peine ; d’immenses cuillers, aussi en argent, permettaient de se désaltérer avec l’eau qu’elles contenaient : c’était d’un aspect vraiment royal.

Amarapoura, en pali, « la ville immortelle », n’a aucune prétention à l’antiquité ; elle a été fondée par Mentaragyi Phra, fils de ce grand Alompra, qui, vers le milieu du siècle dernier, affranchit la Birmanie du joug des Péguans. D’après le P. San-Germano, Mentaragyi prit possession de son palais le 10 mai 1783. La ville fut abandonnée par son successeur en 1822 ; cet acte fut considéré comme de mauvais augure ; ce fut ce qui amena, disent les Birmans, les désastres de 1824-1826. Les résidences royales, à chaque changement, avaient toujours remonté la rivière, de Prome à Pagán, de Pagán à Panya, de là à Ava, puis à Amarapoura : cet abandon des antiques costumes amena la mauvaise chance et les revers.

(La suite à la prochaine livraison.)