fut terrible, mais le Yankee passa emportant avec lui une partie du bordage de tribord du pauvre bâtiment anglais.
Quant à nous, nous y perdîmes notre bastingage et le tambour de notre roue de bâbord, quelques voyageurs peu habitués à la mer y perdirent… leur équilibre et roulèrent pêle-mêle parmi les denrées de toute espèce qui encombraient le pont. Nous arrivâmes sans autres accidents à San-Sacramento, qui était notre première étape en Californie.
Sacramento, la seconde ville de cette région, doit, comme San-Francisco, son origine aux mines d’or ; elle est située sur la rive gauche du fleuve dont elle porte le nom.
Aussitôt après notre débarquement, nous nous mîmes en quête d’une charrette et d’un attelage pour transporter nos bagages aux placers[1] de Grass-Valley, où nous avions l’intention d’expérimenter notre machine.
Quelques heures après nous suivions, la carabine sur l’épaule, notre véhicule portant l’avenir de notre association et avançant péniblement sous les efforts de quatre mulets.
À la fin du jour nous fîmes halte dans un lieu découvert pour y passer la nuit, et, le lendemain avant l’aube, nous nous remîmes en route. Le pays que nous traversions était inhabité, ce n’était alors que rarement que nous apercevions le long de quelque cours d’eau une habitation isolée.
Nous suivions quelquefois des portions de route qui jadis avaient dû être fort belles. Ces vestiges étaient encore l’ouvrage des missionnaires, qui, au temps de leur puissance, avaient voulu relier les diverses missions entre elles afin de rendre les communications plus faciles. Le pays devenait de plus en plus accidenté à mesure que nous avancions, ce qui retardait beaucoup notre marche.
De onze heures à une heure nous faisions ordinairement halte pour laisser passer la grande chaleur et reposer nos mules.
Nous apportions la plus grande prudence, le soir, dans le choix du lieu de notre campement et le jour dans l’ordre de notre marche, le pays étant infesté par des vagabonds, chercheurs d’or occultes, qui au lieu d’interroger laborieusement le sein de la terre, trouvaient plus commode et moins fatigant de se procurer ce précieux métal en dévalisant les voyageurs.
Enfin nous parvînmes au village de Rough-and-Ready (brusque et prêt), dans la vallée où s’élève Nevada-City ; là nous eûmes pour la première fois devant les yeux l’aspect d’un placer de mineurs. Au fond d’un ravin qui semblait avoir été bouleversé par un ouragan, une grande quantité d’arbres avaient été arrachés du sol ; au milieu d’excavations profondes, on voyait les mineurs courbés sur leurs pics avec lesquels ils retiraient les couches de terre aurifère pour aller les laver à près d’un mille de distance ; plus loin un autre plus heureux, plongé dans l’eau glacée jusqu’aux reins, lavait la terre dans un plat de fer battu pour en extraire l’or.
De chaque côté du ravin étaient échelonnées les habitations des mineurs, consistant en tentes de toutes formes et en cabanes de planches de cèdre.
Après avoir contemplé quelque temps ce spectacle si nouveau pour nous, nous continuâmes notre route pour Grass-Valley, où nous arrivâmes le surlendemain. Quoique plus considérable, ce placer avait le même aspect à peu de chose près que celui de Rough-and-Ready.
À peine étions-nous arrivés que nous fûmes entourés par un flot de curieux, nous regardant avec étonnement déballer notre précieuse machine ; nous dressâmes aussi notre tente sous un massif de verdure qui nous fut indiqué par des Suisses, avec lesquels nous visitâmes le placer dans toute son étendue avant de nous livrer au repos dont nous avions tant besoin.
Vers minuit, nous fûmes tous réveillés par la tempête. La foudre grondait avec fracas, et sa voix altière se répercutant dans les échos des trois montagnes qui dominaient le placer, semblait plus terrible encore ; notre tente résista au choc du vent, grâce à ses cordages neufs et à ses piquets de fer, mais non à la pluie qui s’infiltrait, fouettée par le vent, en masses épaisses, brouillard qui eut bientôt traversé nos couvertures et nos vêtements, et nous trempa jusqu’aux os. Le jour arriva enfin, et ayant allumé un immense feu avec les branches sèches que la tempête avait brisées, nous pûmes réchauffer nos membres engourdis ; ce n’était pas tout, il fallait monter la machine et la faire fonctionner ; dans ce but, nous choisîmes un claim[2], où nous fîmes nos premières expériences qui n’amenèrent aucun résultat satisfaisant. Enfin m’étant penché sur le récipient ou était placé le mercure, je pus constater que l’or passait par-dessus sans s’y amalgamer ; nous fûmes consternés à cette découverte et pensâmes, d’un commun accord, que notre mercure, que nous avions eu l’obligeance de prêter au capitaine de l’Isthmus pour remplacer le sien perdu pendant une tempête sur les côtes du Mexique, avait été détérioré ; nous recommençâmes avec persévérance, mais chaque fois que nous passions le mercure à la peau de chamois, il n’y restait aucune parcelle d’or. Après avoir constaté généralement que la machine, par elle-même, était impropre au lavage des terrains aurifères, nous nous sentîmes plus ou moins découragés. Mes trois compagnons proposèrent de dissoudre la société, de partager le matériel et le reste des fonds qui se trouvaient en caisse ; j’acceptai l’offre, heureux de pouvoir enfin vivre seul de cette vie d’aventure et de liberté à laquelle j’aspirais. Ces messieurs partirent donc pour San-Francisco, et moi je restai à Grass-Valley le temps nécessaire pour recueillir assez de poudre d’or, et me procurer ainsi les moyens de me livrer à la vie d’excursions que j’avais projetée.
- ↑ On donne le nom de placer à toute localité où, par suite de la richesse des terrains aurifères, il s’est établi des camps ou postes pour l’exploitation de l’or. Cette dénomination est synonyme d’exploitation.
- ↑ Le claim est une étendue de terre de dix pieds carrés auquel a droit tout mineur d’un placer.