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divers passages du Koran, me loge dans une case toute neuve, aux murailles admirablement polies, et réjouissante à voir. Mais comme il arrive trop souvent ici-bas, où l’apparence vous séduit ou vous trompe, cette jolie case est un nid de fourmis qui dévastent mes bagages. Le lendemain se termine le rhamadan ; au point du jour, la musique annonce la fête ; les Foullanes sont vêtus de chemises blanches, en signe de la pureté de leur foi, et le cortége du gouverneur se compose de quarante cavaliers, probablement tout ce que la ville possède. J’ai à soutenir une attaque religieuse de la part du cadi, qui voudrait me faire passer pour sorcier, et je crois prudent de distribuer quelques aumônes aux gens de la procession.

« Le 12 juillet, nous arrivons à Doré, capitale du Libtako. Le pays est sec, des bandes de gazelles parcourent une plaine aride qui borde la place du Marché : on voit sur cette dernière quatre ou cinq cents personnes, des étoffes, du sel, des noix de kola, des ânes, du grain et des vases de cuivre, métal dont sont formés les bijoux des habitants. Je remarque deux jeunes filles qui ont dans les cheveux un ornement de cuivre représentant un cavalier, l’épée à la main et la pipe à la bouche ; car pour les Sonrays, le tabac fait le charme de la vie, toutefois après la danse.

Vue de Kabra, port de Tembouctou. — Dessin de Rouargue d’après Barth (quatrième volume).

« Le voisinage des Touaregs a entretenu, chez les habitants du Libtako, une ancienne bravoure, très-renommée jadis, et qu’ils emploient aujourd’hui à des querelles intestines.

« Un lacis de rivières et de marécages nous entrave à chaque pas. Des buffles en quantité ; une mouche venimeuse, très-rare à l’est du Soudan, tourmente mes bêtes et les menace. Des averses perpétuelles, de l’eau partout ! On ne se figure pas, en Europe, ce que c’est que de parcourir cette contrée dans la saison pluvieuse, de transporter les bagages à travers les marais, d’où les chameaux ont assez à faire de se retirer à vide. Il m’est arrivé plus d’une fois de penser que mon cheval, malgré toute sa vigueur, ne sortirait pas de la fange, d’y tomber avec lui, et de ne savoir comment faire pour l’enlever du bourbier. C’est une pluie tellement violente que je lui ai vu en une nuit détruire le quart d’un gros village, et tuer onze chèvres dans une seule maison.

« Jusqu’ici, j’avais conservé ma qualité de chrétien ; mais nous allions entrer dans la province de Dalla, soumise au chef fanatique de Masina, qui n’aurait jamais permis à un mécréant de franchir son territoire, et je me fis passer pour un Arabe, qui plus est pour un schérif. Cependant la dispute que nous eûmes avec notre hôte, au sujet d’une meute de chiens qui ne voulaient pas nous céder la place, annonçait le peu de ferveur de la population ; car tout bon musulman réprouve la race canine ; les Foullanes ne s’en servent même pas pour guider