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VOYAGES ET DÉCOUVERTES AU CENTRE DE L’AFRIQUE.

JOURNAL DU DOCTEUR BARTH[1].
1849 — 1855.


De Katchéna au Niger. — Le district de Mouniyo. — Lacs remarquables. — Aspect curieux de Zinder. — Route périlleuse. — Activité des fourmis. — Le Ghaladina de Sokoto. — Marche forcée de trente heures. — L’émir Aliyou. — Vourno. — Situation du pays. — Cortége nuptial. — Sokoto. — Caprice d’une boîte à musique. — Gando. — Khalilou. — Un chevalier d’industrie. — Exactions. — Pluie. — Désolation et fécondité. — Zogirma. — La vallée de Foga. — Le Niger.

La mort d’Overweg, arrivée à la fin de septembre 1852, avait changé les plans du docteur Barth ; au lieu de retourner dans le Kanem, et d’explorer le nord-est du lac Tchad, comme il en avait eu le projet, notre voyageur se tourna vers le Niger, afin de visiter la région inconnue qui s’étendait entre la route de Caillé et la zone où Lander et Clapperton ont fait leurs découvertes. Toujours nécessiteux, en dépit de sa qualité de chef de l’expédition, Barth s’éloigna de Kouka le 25 novembre, avec l’espoir de pénétrer à Tembouctou.

Le 9 décembre il avait quitté les plaines monotones du Bornou, pour entrer dans les districts fertiles du Haoussa, et le 12, il se dirigeait au nord-nord-est, vers la province montueuse du Mouniyo.

Le sentier serpente, monte et descend au milieu d’une série de vallées siliceuses, dont les flancs sont couverts de buissons et couronnés de villages : on y voit des céréales, des travailleurs, et du bétail qui le soir se rassemble autour des puits. Le Mouniyo, à qui appartiennent ces vallées, a la forme d’un coin, dont la pointe se projette vers le désert ; habité par une population fixe et laborieuse, passablement gouverné, il contraste d’une manière frappante avec le territoire des tribus nomades qui l’avoisinent. N’oublions pas, qu’autrefois, tout le pays qui sépare du Kanem cet éperon du Soudan, renfermait des provinces populeuses, appartenant au Bornou, et qu’il y a tout au plus cent ans que ces régions sont dévastées par les Touaregs. Les gouverneurs du Mouniyo, plus énergiques et plus braves que leurs voisins, ont su, non-seulement se défendre contre les Berbères, mais ont entamé le district de Diggéra, qui est soumis à ces derniers. Le chef de cette province indépendante, peut, dit-on, mettre en campagne quinze cents hommes de cavalerie, et neuf ou dix mille archers ; son revenu est de trente millions de coquilles (cent cinquante mille francs), sans compter la dîme qu’il prélève sur les grains.

Au lieu d’aller directement à Zinder, Barth prit à l’ouest pour visiter Oushek, l’endroit où l’on cultive le plus de froment de la partie occidentale du Bornou, et qui offre un mélange curieux de végétation plantureuse et de stérilité. « Au pied d’une montagne, dit le voyageur, est un espace aride ; à la lisière de ce terrain désolé, on trouve un sol onduleux, des dattiers, des tamarins, des étangs, une herbe épaisse, une eau copieuse à une profondeur de trente à cinquante centimètres. Nous entrons dans la ville par des champs de blé, des carrés d’oignons, des cotonneries, à tous les degrés de développement. Ici on écrase les mottes, on irrigue le sol, tandis que chez le voisin les épis sont en fleurs. Partout une végétation luxuriante ; mais des amas de décombres empêchent de saisir l’ensemble du village, qui s’égrène dans les plis du sol ; le principal groupe entoure le pied d’une éminence, couronnée par la maison du chef ; et tandis que les cases sont faites de roseaux et de tiges de millet, les tourelles où l’on serre les grains sont construites en pisé et s’élèvent à trois mètres de hauteur.

« Après Oushek, un plateau sableux couvert de roseaux, entrecoupé de vallons fertiles ; un éperon de la chaîne qui vient du sud-sud-ouest, puis une plaine ondulée, tapissée d’herbe et de genêt ; un fourré de mimosas, de grosses touffes de capparis, en approchant des montagnes ; et de loin en loin quelques traces de culture. Le soleil est brûlant ; je me sens malade, et suis forcé de m’asseoir. Dans la nuit, un vent froid du nord-est nous couvre des arêtes plumeuses du pennisetum, et nous nous levons dans un état de malaise indicible. La nuit suivante est plus froide encore ; mais il ne fait pas de vent. Le pays est le même ; on y voit moins de culture, et le cucifère domine. En sortant de Magajiri, au pied d’une colline rocheuse, des cotonniers, des corchorus entourent un grand lac de natron ; nous n’osons pas franchir cette surface d’un blanc de neige, dont l’épaisseur n’a pas trois centimètres, et qui recouvre un sol noir et fangeux. »

Plus loin, à Badamouni, des sources nombreuses arrosent des champs fertiles, et vont alimenter deux lacs, réunis par un canal. Malgré ce détroit qui les fait communiquer, l’un de ces lacs est formé d’eau douce, l’autre est saumâtre, et renferme du natron. Dans cette zone toutes les vallées, toutes les chaînes de montagnes se dirigent du nord-est au sud-ouest, et c’est également l’orientation de ces deux lacs si remarquables. Le papyrus en couvre les bords, vers le point où ils se réunissent ; mais à l’endroit où l’eau devient saumâtre, cette plante est remplacée par le koumba, dont la moelle est comestible. « Mes deux compagnons, nés sur les rives du Tchad, reconnaissent immédiatement cette espèce de

  1. Suite et fin. — Voy. pages 193 et 209.