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« Des malheureux avaient cherché un asile au plus épais du fourré, quelques-uns de nos massacreurs les aperçoivent, jettent leur cri de guerre et se précipitent au fond du val ; les réfugiés sortent du bois, tombent sur leurs assaillants désunis, leur prennent deux chameaux et disparaissent. Nous perdons de vue nos brigands que nous finissons par revoir dans une vallée plus profonde, chassant devant eux un troupeau de moutons.

« Après les avoir rejoints, nous arrivons dans une petite vallée, garnie d’une profusion de mimosas, et contenant, dans sa partie la plus basse, des puits qui servent à irriguer une belle plantation de coton. À peine les chevaux sont-ils abreuvés, qu’on repart en toute hâte, pour ne s’arrêter que le soir. Il y avait trente-quatre heures que j’étais à cheval ; dévoré par la fièvre, épuisé par la fatigue, je m’évanouis en mettant pied à terre, et tous mes compagnons crurent que j’allais mourir. La bande s’était fortifiée dans son douar avec ses bagages, et les sacs remplis du grain qu’elle avait dérobé ; mais elle n’était pas tranquille.

« Pendant la nuit j’entends nos Sliman pousser leur cri de guerre : un corps d’ennemis nombreux se dirigeait vers le camp. J’appris cette nouvelle avec l’indifférence d’un homme écrasé par la fièvre, et ne songeai même pas à me lever. Des coups de feu retentissent, Overweg m’annonce la défaite de nos hommes, monte à cheval et s’éloigne ; je prends mes armes, on selle ma bête, et je me dirige vers le couchant, tandis qu’on attaque le douar du côté opposé. Mais bientôt la fusillade recommence derrière moi ; nos gens s’étaient ralliés et fondaient sur l’ennemi, occupé de son butin. J’avertis Overweg, et nous retournons au camp : plus de bagages, aucun vestige de ma tente. Cependant les Arabes continuent leur poursuite, ressaisissent le bétail, et à peu près tout ce qui nous appartient. La perte se borne, en fin de compte, à nos provisions de bouche, à nos ustensiles de cuisine, et au livre d’heures de M. Richardson, que je regrettai vivement.

Intérieur d’une habitation mosgovienne. — Dessin de Rouargue d’après Barth (troisième volume).

« Nouvelle attaque des indigènes au coucher du soleil ; ils sont battus de nouveau ; mais en dépit de cette victoire, l’anxiété de nos gens est extrême ; ils partiraient immédiatement, s’ils n’avaient peur d’être surpris au milieu des ténèbres. Les chevaux sont sellés, chacun veille, et le cri des sentinelles résonne à chaque instant. Le plus effaré de la bande est un juif renégat, qui se croit à sa dernière heure, et cherche partout un rasoir pour se couper les cheveux d’une manière orthodoxe avant de mourir. Le jour paraît sans qu’on ait vu l’ennemi ; et c’est à qui prendra le pas sur son voisin, dès que le soleil donne le signal du départ.

« Quinze chameaux, trois cents têtes de gros bétail et quinze cents chèvres ou moutons furent pris dans cette campagne. Nous eûmes cinq morts et un assez grand nombre de blessés. On parlait de retourner à Bourka-Drousso, mais rencontrant une caravane qui se dirigeait sur Kouka, nous nous séparâmes de nos bandits, quels que fussent nos regrets de laisser derrière nous la partie la plus intéressante du Kanam, ce pays aux vallées fécondes, aux cités populeuses, telles que Njimiyé, Aghafi et tant d’autres, qui, célèbres autrefois, n’existent plus que dans le récit de l’expédition d’Edris. »


Nouvelle expédition. — Troisième départ de Kouka. — Le chef de la police. — Aspect de l’armée. — Dikoua. — Marche de l’armée. — Le Mosgou. — Adishen et son escorte. — Beauté du pays. — Chasse à l’homme. — Erreur des Européens sur le centre de l’Afrique. — Incendies. — Baga. — Partage du butin.

Dix jours après mon retour à Kouka, je partais de nouveau pour aller rejoindre, cette fois, une véritable armée. Le cheik et son vizir avaient déjà quitté la ville ;