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aux arêtes roides et tranchées, aux flancs nus et sévères, contraste vigoureusement avec la richesse verdoyante de la vallée qu’il domine.

Les douaniers viennent se jeter désagréablement à travers ces premières impressions. Dès qu’ils ont achevé leur fastidieuse besogne, je descends dans une barque et elle me conduit vers la partie de la ville que termine une porte monumentale, la porta Felice, nom d’heureux augure ! De là je me rends à pied à l’hôtel de France. (Les affaires avant les plaisirs !) Je vais au consulat, puis je porte çà et là mes lettres de recommandation. Il est trois heures après midi. La table d’hôte est servie. Ni les mets ni les convives ne m’intéressent. J’ai hâte de parcourir la ville, et, avant la fin du dîner, je pars.

L’aspect général de Palerme est plutôt d’une ville espagnole que d’une ville italienne. Sa forme est un carré légèrement allongé, dont un des petits côtés, au nord-est, est adossé à la mer. Son port est abrité par un môle qui s’avance d’environ 1400 mètres au sud et 800 à l’ouest. Elle se compose de quatre quartiers, séparés par deux grandes voies : celle du Cassaro ou rue de Tolède ou Corso, qui descend en ligne droite vers la mer, la Strada Macqueda ou Nuova, qui coupe le Cassaro à angle droit. Au point d’intersection, est la place appelée des Quattro Cantoni, encadrée de palais symétriques et décorée de fontaines et de statues.

Les rues del Cassaro et Macqueda sont, sinon aussi animées, au moins plus propres et plus régulières que la fameuse rue de Tolède à Naples. Comme dans beaucoup de villes de l’Italie, ce sont les galériens qui les balayent et qui les nettoient. On rencontre de distance en distance des fontaines, dont quelques-unes ont des proportions colossales. Des balcons en fer font saillie à toutes les fenêtres ; dans la rue de Tolède et sur la place prétorienne, on en voit qui sont grillés et occupent toute la largeur des maisons à l’étage le plus élevé. Il paraît que des religieuses cloîtrées, dont les couvents sont à peu de distance, arrivent par des passages souterrains jusqu’à ces balcons et y jouissent du spectacle des fêtes et des processions solennelles. On m’a même raconté (faut-il le croire ?) que de là maintes nonnes, pour la plupart filles de bonne maison enlevées de gré ou de force aux douceurs de la vie mondaine, échangent des regards et des signes avec de jeunes galants qui se logent aux environs, et qui épient avec patience pendant des jours entiers le moment favorable.

La vie des Palermitains se passe presque toute en plein air ; les affaires, le travail, les plaisirs, tout a lieu dans la rue ; on pourrait presque dire qu’on y dort, à voir tant de groupes d’hommes couchés la nuit sur les trottoirs, sur les marches des palais et aux portes des églises. Des artisans de divers métiers travaillent sur les balcons, ou le soir, devant leurs ateliers, à la lueur de petites lampes. Les maisons sont en communication aussi complète que possible avec l’air extérieur ; l’œil pénètre sans obstacle dans les boutiques et dans les cabinets d’affaires ; il n’est pas jusqu’au notaire qu’on ne puisse se donner le plaisir d’observer, de la rue, attablé au milieu de ses dossiers, dictant des actes à son unique clerc et causant avec ses rares clients.

On n’a point exagéré la sobriété des Siciliens ; du pain et de l’eau pour les plus misérables, des figues d’Inde ou d’autres fruits communs pour les autres, du macaroni pour les mieux partagés, cela suffit. Le ciel est si splendide, la brise du soir si rafraîchissante, la campagne si belle ! C’est aux peuples du Nord, enveloppés dans leurs tristes brumes, à aimer les longs et succulents festins.

Les Palermitains sont d’une nature facile et enjouée : ils ont beaucoup de vivacité dans le geste ; ils paraissent fiers, querelleurs et méfiants. Toutes les portes ont des judas, à travers lesquels on examine attentivement les visiteurs avant d’ouvrir. La physionomie de presque tous les habitants est spirituelle ; les femmes se distinguent par une certaine élégance naturelle très-agréable.

La principale distraction des Palermitains est la promenade du soir sur le quai appelé la Marina, qui s’étend au loin à droite en sortant par la porta Felice, et qui est véritablement un endroit délicieux. On y fait de la musique pendant trois mois de l’année. D’autres promeneurs préfèrent la rue de Tolède et la route de Monreale.

Les cafés sont de fort chétive apparence. Le café au lait y est servi dans l’état de préparation le plus avancé ; les deux liquides sont mélangés d’avance dans des verres à boire, le sucre est râpé, le pain divisé en petites bouchées. On a des glaces d’espèces très-variées et de bonne qualité, non-seulement dans les cafés, mais dans de petites boutiques d’aquaioli, qui, à la différence de ceux de Naples, sont sédentaires.

Les cercles formés par souscription, où l’on trouve quelques journaux, où l’on joue, où les négociants viennent causer de leurs affaires, sont au rez-de-chaussée et ouverts comme les cafés.

Les théâtres, Carolino, di Santa Cecilia, San Ferdinando, sont assez fréquentés. Les prix y sont peu élevés. On y entre sans « faire queue », on y circule à l’aise, sans se heurter des coudes et des genoux : Paris est la seule capitale de l’Europe où l’on s’obstine à mêler beaucoup de petits supplices au plaisir du spectacle.



Les monuments de Palerme.

Palerme a été tour à tour grecque, carthaginoise, romaine, arabe, normande, espagnole, etc. On peut lire sur ses monuments ses diverses aventures historiques.

Elle a conservé de l’antiquité grecque et romaine : les restes d’un bain, sous l’église de Santa Maria la Guadagna ; les ruines d’un théâtre, sous le palais du sénat ;

    Boco ou de Marsala (Lilybæum) à l’ouest, le cap Passero (Pachinum) au sud-est. Diverses chaînes de montagnes, dont les principales sont les Pélores et les Nébrodes, continuation, à ce qu’il semble, des Apennins, traversent la Sicile de l’est au sud-ouest et descendent du centre au sud-est, tandis que l’Etna y forme un groupe indépendant. Elle est arrosée par plusieurs cours d’eau dont les plus importants, la Giarretta, le Platani, le Salso, le Cantara, le Belici, etc., sont plutôt des torrents que de véritables rivières.