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travers du pays, le nombre des moulins et celui des enclos formés de haies vives.

Je considère que l’existence de nombreux moulins est un symptôme de vitalité dans une colonie dont toutes les tendances se dirigent vers l’agriculture. Quant aux haies, il est curieux de voir combien Victoria en manque, en la comparant avec les colonies limitrophes. Dans l’île de Tasmanie, tout le pays est divisé par des haies épaisses d’églantiers, dont l’effet charme et la vue et l’odorat, l’air en est embaumé. Dans l’Australie du sud, l’on se sert de l’acacia épineux que fournit, je pense, l’île des Kanguroos et qui forme d’excellentes haies. Il pousse vite, et, bien mené, il forme une palissade épaisse qui garantit admirablement les jardins et les vergers. Son seul inconvénient est d’être facilement détruit par le feu, même à l’état vert. La généralité des haies ajoute encore ici à l’apparence cultivée du pays, et vous fait faire un triste retour sur la nudité des poteaux et des pieux qui bornent les propriétés dans les banlieues de Sydney et de Melbourne.

Quelques avantages que l’on puisse trouver dans les districts ruraux de cette colonie, on ne saurait cacher les désagréments de ses villes. Adélaïde est située assez avantageusement, même judicieusement, et toutefois, pendant plusieurs mois de l’année, elle est complétement inhabitable, et en cela aussi mal appropriée à la résidence de l’homme que Melbourne, que l’on vante tant et pour les mêmes causes. D’abord la poussière y est insupportable ; on me décrivait une fois Adélaïde comme une ville ou, dès le matin, on devait se laver la bouche avant de pouvoir parler, et où, pendant le jour, on entendait ses paupières crier quand on clignait des yeux. Je n’en avais rien voulu croire, mais mon expérience personnelle me fit reconnaître que l’état poudreux d’Adélaïde, tel que l’on me l’avait décrit, n’était que légèrement exagéré.

Sans cet inconvénient, la ville serait agréable, et l’on conçoit difficilement que dans une agglomération d’habitants comme celle que l’on trouve dans nos villes d’Australie, telles que Melbourne, Sydney, Adélaïde ou Hobart-Town, l’on n’ait jamais songé à adopter des mesures tendant à faire disparaître les inconvénients de la saleté et de la poussière.

La population d’Adélaïde commence à donner le bon exemple d’élever des plantations en ville. Les particuliers peuvent planter devant leurs propriétés, et la municipalité a fait garnir le pourtour de la ville et les places d’arbres d’ornement.

Adélaïde est bâtie dans une vaste plaine limitée par le Torrens qui l’alimente d’eau. Cette rivière est insignifiante, pendant l’été surtout, et n’a guère plus d’eau à cette époque que les torrents algériens ou andalous ; toutefois, si peu abondante que soit l’eau, elle ne tarit pas et est d’assez bonne qualité. D’un côté Adélaïde est abritée par une rangée de coteaux d’une grande beauté. Ces collines sont distantes entre elles de cinq milles à peu près ; la plus haute mesure, dit-on, deux mille pieds. Elles courent depuis les plaines de la côte jusqu’au district de Burra, pendant l’espace d’une centaine de milles, et présentent partout un charmant aspect. Légèrement ondulées, tantôt couvertes de bois, tantôt arrondies en dômes, accidentées de mille manières pittoresques, jamais elles ne fatiguent l’œil qui se repose sur la succession de leurs contours. Que le soleil se lève, qu’il plane au zénith ou qu’il se couche, elles présentent mille beautés de lumière et d’ombre, auxquelles s’ajoutent les caprices des nuages qu’entraîne le vent ; puis, çà et là au milieu des cultures, des parcelles d’un vert intense ajoutent aux aspects d’un paysage où l’on sent l’action de la main de l’homme.

Les jardins des environs d’Adélaïde sont plus nombreux que dans les autres colonies ; très-étendus, bien cultivés, ils sont d’un bon rapport. Pendant la saison, les fruits abondent, depuis la grosse groseille jusqu’à l’orange. Il y a de grands jardins plantés d’oliviers, mais, à ma grande surprise, on n’utilise pas leurs fruits, qui tombent et noircissent le sol où ils pourrissent ; les frais pour l’extraction de l’huile ou pour conserver les olives sont encore si élevés qu’on est forcé de perdre la récolte, et à ce sujet un jardinier m’avoua avoir offert toute la sienne à qui pourrait l’utiliser, et n’avoir pas trouvé d’amateur.

Les orangers sont, au contraire, cultivés avec succès par plusieurs colons. J’en ai vu chez un seul propriétaire une plantation de sept acres, et, bien que jeunes encore, les arbres sont vigoureux et commencent à rapporter abondamment. La culture n’en est pas très-développée, mais aussitôt que l’usage de ce précieux fruit s’étendra, les jardiniers qui y ont consacré leurs soins en retireront de bons revenus. La vigne aussi est cultivée sur une grande échelle ; on connaît le beau raisin qu’expédie Adélaïde ; on n’en a pas vu de pareils dans les autres parties de l’Australie. La fabrication du vin prend de l’extension, et la qualité des produits est aussi bonne que celle des meilleurs crus de la Nouvelle-Galles méridionale. Peut-être ont-ils un goût de terroir trop prononcé. Mon opinion est que les vignes sont plantées dans une terre trop forte, et le colon, habitué à faire fructifier la meilleure terre possible, applique les mêmes principes à la culture de la vigne que ceux qui conviennent à celle du blé et de la pomme de terre. Mais ce sont là des défauts que le temps et l’expérience corrigeront. Enfin, à l’honneur de cette jeune colonie, on doit constater qu’elle a déjà mis en culture au moins 15 000 hectares de plus que chacune de ses deux ainées, la Nouvelle-Galles et Victoria, bien plus riches et bien plus peuplées.

Les chemins de fer et le télégraphe progressent assez lentement. Une ligne ferrée relie Adélaïde avec le port et s’étend jusqu’à Gawler-Town, à vingt-cinq milles dans l’intérieur, dans la direction des grandes mines de cuivre de Burra.

Le télégraphe électrique qui communique avec Victoria doit se relier avec Sydney ; son installation laisse bien quelque chose à désirer ; mais il faut un peu d’indulgence pour l’application d’une découverte si récente