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d’un Australien, ayant pour suaire une peau de kanguroo qui le défend mal contre l’inclémence de l’air et les insultes des oiseaux de proie, jusqu’à ce que la décomposition cadavérique livre ces lamentables restes aux chiens sauvages, accourus à cette curée des quatre aires de l’horizon.

… Les aborigènes ont de nombreux vices, il est vrai, mais, nous devons l’avouer, il en est beaucoup qu’ils doivent au contact du monde civilisé ; ils sont cruels, durs dans leurs rapports de famille, en un mot, possèdent en grand nombre de ces défauts qui distinguent les tribus sauvages et barbares. Cependant, d’après les observations recueillies depuis vingt ans par tous les directeurs et inspecteurs que l’administration anglaise leur a donnés, les Australiens possèdent des qualités qui pourraient servir d’éléments à la constitution d’un caractère moral d’un ordre plus élevé. Ils ont l’intelligence vive, observent et étudient avec finesse les objets inconnus ; leur pouvoir d’imitation est extraordinaire ; ils peuvent représenter les objets dans leur exacte proportion, et quand ils examinent un dessin, aucun détail ne leur échappe. Très-habiles à manœuvrer la lance et le boomerang, ils déploient une vraie sagacité dans l’emploi surtout de cette arme de jet, dont le principe scientifique a, jusqu’à ce jour, échappé aux explications de la science.

Rien ne peut égaler l’adresse avec laquelle ils jettent cette arme bizarre qui après avoir frappé le but revient tomber aux pieds de celui qui l’a lancée.

Leurs facultés perceptives sont donc très-développées ; mais l’absence des facultés réflectives, et surtout le manque d’esprit de suite dans leurs idées, est le plus grand obstacle à leur civilisation ; obstacle sérieux mais non insurmontable, et nous pourrions citer de nombreux cas où l’intelligence supérieure des blancs, aidée de leur dévouement, a su relever des tribus sauvages bien plus dégradées encore.

M. Thomas, le directeur actuel des aborigènes dans le district de Victoria, qui a beaucoup étudié ce sujet, dit que les enfants des deux sexes parviennent aisément à lire et à écrire ; qu’ils apprennent facilement par cœur des morceaux de poésie et de chant ; qu’ils aiment beaucoup les leçons orales traitant de la géographie, et qu’ils comprennent parfaitement l’usage des cartes.

Un jeune aborigène a eu, deux ans de suite, le prix de géographie à l’école normale de Sydney ; mais il était d’une ignorance complète en arithmétique. Les filles comprennent vite les travaux d’aiguille et de couture, et les garçons tout ce qui a trait à l’agriculture et à l’élève des bestiaux.

Comme on a exagéré leurs défauts, on n’a pas manqué d’exagérer leur laideur et leur type. Certes, ce ne sont ni des Apollons ni des Antinoüs ; mais parmi nos deux cent cinquante et quelques millions de congénères qui se prétendent fils de Japhet ou de Prométhée, combien y a-t-il de types qui puissent servir de modèle à un statuaire ? combien de têtes vraiment belles ? Je n’ose répondre.

… Le teint des Australiens est brun de rouille ou couleur de chocolat ; leur grandeur moyenne varie entre cinq pieds quatre pouces et cinq pieds sept pouces (1 m, 62 à 1 m, 72), leur tête est petite, leurs cheveux sont longs, couleur noire de poix, lisses et gros, parfois aussi bouclés et fins ; ils ont généralement les lèvres grosses, le nez large et aplati, le front en arrière, mais une denture superbe et de grands yeux vifs. L’abdomen prédominant et les membres grêles dont nos peintres caricaturistes les ont tant gratifiés, ne sont guère leur apanage que dans leur bas âge et quand ils sont mal nourris.

Je le répète, dans tout travail qui exige l’emploi des facultés perceptives, l’aborigène est supérieur au blanc. Les enfants nés de parents européens et élevés en Australie semblent acquérir à un haut degré cette extraordinaire faculté de perception qui caractérise les indigènes.

Jusqu’à présent on a été injuste, inhumain à leur égard. Les blancs ne se sont pas fait faute de les tuer en grand nombre sans plus de souci que du gibier : on les a expulsés des endroits qu’ils occupaient, on leur a pris leur terrain de chasse sans se préoccuper le moindrement de leurs moyens d’existence. Il faut dire qu’ils étaient peu nombreux, sans chefs, et qu’ils fuyaient à l’approche des blancs. Ils n’ont pas, comme les nouveaux Zélan dais, résisté les armes à la main aux envahissements des colons. Eussent-ils été plus puissants, les Européens seraient arrivés à composer plus équitablement avec eux. Dans les deux millions cinq cent mille kilomètres carrés de la province de Victoria, il est à peine un endroit où un aborigène puisse trouver le repos ; le bétail, dit-on, ne veut pas rester là où habitent les noirs, et trop souvent le blanc n’a pas hésité à sacrifier les quelques noirs qui s’opposaient à l’installation de ses bœufs et de ses moutons.


Navigation sur le Murray. — Frontières de l’Australie du sud. — Le lac Alexandrina. — Le Kanguroo rouge.

Ayant trouvé à Albury un petit steamer qui, pour la première fois, avait pu remonter jusque-là, je m’y embarquai, et après huit jours d’une navigation régulière sur le Murray, nous franchîmes le cent quarante et unième méridien de longitude, qui forme la ligne de démarcation entre la colonie de Victoria et celle de South-Australia. Nous fîmes aussi nos adieux à la Nouvelle-Galles qui, jusque-là, avait été limitée par la berge de droite de la rivière. L’abondance de beurre, d’œufs, de lait, etc., que nous trouvâmes à la première escale, après avoir franchi la limite de ces deux provinces, me démontra clairement la supériorité de l’esprit industrieux des colons du sud sur celui de leurs voisins de l’est.’

Au delà de ce point, le fleuve se replie vers le sud, en se dirigeant directement vers la mer. Les falaises de roches, qui bordent son cours inférieur, sont de plus en plus rapprochées et de plus en plus élevées. Elles consistent en grès jaune, alternant avec des couches de calcaire, remarquables par leur horizontalité. Lentement désagrégées par l’action de l’atmosphère pendant