Page:Le Tour du monde - 02.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaux et une demi douzaine de mâtins et de pointers que de pauvres diables de mineurs m’avaient cédés à grand prix, dans les diggings, et seulement pour m’obliger. Je m’acheminai, à petites journées, à travers les mille vallées qui rayonnent autour des flancs nord et nord-ouest des monts Kosciusko, Balh-Hill, Maragoura, Tennent, Talbingo et Manesranges, etc., et qui portent au Morrumbridge et au Murray les eaux de ces Alpes des antipodes. Vous pouvez pointer sur la grande carte de Keith-Johnston la ligne semi-circulaire qui me conduisit de Cooma à Albury par Numit et Bago, localités bien peu connues de vos géographes. Cette ligne parcourt certainement quelques-uns des plus beaux sites que renferme le continent australien ; car nulle part, sur cette terre, où la nature semble encore en travail de formation, on ne saurait trouver un ensemble aussi complet de vrais paysages, d’eau et de rochers, de montagnes, de gazons et de bois.

Aussi je me réserve de vous décrire une autre fois, et avec les détails qu’elle mérite, cette partie de mon voyage. Je ne veux aujourd’hui que vous retracer à la hâte les principales impressions qu’elle m’a laissées.

Australie du Sud. — Types indigènes. — Dessin de G. Fath d’après Pétermann.

Il y a trente-six ans à peine que les premiers pionniers, partis de Sydney, pénétrèrent dans ces régions ; il n’y en a pas vingt-cinq qu’elles furent explorées scientifiquement par Mitchell, et cependant il faudra moins de temps encore pour que l’état originel de la contrée ne se retrouve plus que dans le livre de ce voyageur. Bientôt les chercheurs d’or, les bushmen, la dent et le pied des troupeaux, la charrue et la hache du squatter auront tout changé, — je suis loin de dire tout embelli.

Ce qui m’a le plus frappé, c’est le petit nombre d’indigènes et le peu de gibier que j’ai rencontré sur une ligne de plus de 400 kilomètres, parcourue en chasseur, ma meute en quête et l’œil aux aguets. Animaux et hommes sauvages s’éteignent et fondent ici comme ailleurs au souffle fatal de la colonisation européenne. Les tribus de plusieurs centaines d’individus, que Stuart et Mitchell visitèrent sur les affluents supérieurs du Murray, ne sont plus représentées que par des groupes épars de sept ou huit malheureux affamés. J’ai en vain aussi cherché à découvrir quelqu’un de ces bocages de la mort, qui jadis marquaient le centre de parcours, la terre patrimoniale de chacune de ces grandes tribus, et dont la plume et le crayon de Mitchell nous ont tracé de si remarquables tableaux. Ces poétiques sépultures ont disparu à leur tour ; les descendants ont manqué aux aïeux pour entretenir les tumuli de gazon et les petits sentiers sablés qui circonscrivaient, sous l’ombre des eucalyptus et des mélaleucas, les cases de ces échiquiers funéraires. Les pousses de quelques printemps, les pluies d’un petit nombre d’automnes auront suffi pour tout envahir, tout recouvrir ou tout niveler. Si l’on veut voir aujourd’hui une sépulture indigène, il faut aller la chercher dans les déserts dénudés de l’ouest. Là, de loin en loin, quatre branches brutes, fichées en terre et croisées à leur sommet, supportent la dépouille mortelle