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nassières. Il ne lui reste guère que deux heures pour dormir. C’est une vie de souffrances continuelles.


Ascension du Djougdjour. — Stratagème pour prendre un oiseau. — La ville d’Oudskoï. — La pêche à l’embouchure du fleuve Ut. — Navigation pénible.

À plus de dix kœs des rives de l’Outchour, nous rencontrâmes la chaîne du Djougdjour (la grosse montagne ; les monts Yablonnoï ou Stanovoï des Russes), que l’on considère comme la ceinture ou l’épine dorsale de la Sibérie. Ne s’affaissant nulle part et s’élevant jusqu’aux nues, elle s’étend sans interruption, sur une longueur de plusieurs milliers de kœs, jusqu’à la mer Glaciale, où elle s’abaisse et se termine. Il était midi passé lorsque nous arrivâmes au pied de cette chaîne ; nous fîmes halte pour y passer la nuit et faire reposer nos montures. Le lendemain matin, avant que le soleil fût levé et que la chaleur se fît sentir, nous nous mîmes à monter à pied ; nos chevaux s’avançaient un à un, sans charge et sans être attachés l’un à la suite de l’autre ; aucun d’eux ne s’accrocha à une branche du fourré, ne tomba dans une crevasse de rocher, ou ne culbuta dans les ravins creusés par les eaux ; au moindre faux pas qu’ils eussent fait, ils auraient été précipités dans un abîme sans fond et auraient été perdus sans retour. Après avoir ainsi grimpé quatorze heures, nous atteignîmes le sommet du Djougdjour, qui est incomparablement la montagne la plus élevée du pays.

Traîneau en Sibérie. — Dessin de Victor Adam d’après Gabriel Sarytchew.

Il y faisait extrêmement froid, et il ne s’y trouvait ni cousin ni guêpe. Nous fûmes transis pendant les deux heures que nous nous y arrêtâmes pour faire souffler nos bêtes. De cette hauteur, les autres montagnes, qui nous avaient paru si élevées, ressemblaient à d’insignifiantes collines. Les nombreux fleuves, qui descendaient des deux versants du Djougdjour, luisaient comme de menus fils d’argent. Les nuages, chassés comme des brouillards, se déchiraient en effleurant la cime de la montagne, et restaient flottants le long du faîte.

Nous mîmes beaucoup moins de temps à descendre qu’à monter ; le voyage, qui avait duré seize heures environ, avait tellement épuisé nos forces et celles des chevaux et des rennes, que nous ne pouvions plus nous remuer. Nous fîmes halte dès que nous eûmes trouvé un lieu de campement au pied de la montagne. Nous venions de décharger nos bêtes, d’allumer des bouzes pour éloigner les moucherons, et de prendre une tasse de thé, lorsque mon chien, que j’avais laissé en liberté, revint du milieu du bois, et par ses aboiements nous fit comprendre qu’un animal se trouvait dans les environs. Je ne sais ce que devint la fatigue dont j’étais accablé, la sueur dont j’étais baigné, la faim et la soif que je ressentais ; mais