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et l’appareil osseux de l’intérieur de son corps semble parfaitement adapté à cette nourriture.

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C’est dans la matinée du 12 avril que nous sommes sortis des lagunes pour passer à l’île de France. Je suis heureux d’avoir visité les attoles ; ces formations sont une des merveilles du monde. D’après les sondages du capitaine Fitz-Roy, qui, avec une ligne de plus de six mille pieds de longueur, ne trouvait plus de fond à une demi-lieue du rivage, l’île semblerait être formée par une haute montagne sous-marine, dont les flancs à pic sont plus escarpés que ceux du cône volcanique le plus abrupt. Le sommet, arrondi en soucoupe, a près de dix milles (plus de trois lieues et demie) de diamètre, et, de cette masse énorme, pas un fragment, pas un atome qui ne porte l’empreinte de la composition organique. Qu’est-ce que la dimension des pyramides et des plus gigantesques ruines à côté de ces montagnes de pierre, accumulées par l’action seule de plusieurs espèces de si menus, de si délicats petits animaux ?

(Le savant naturaliste range ces écueils en trois grandes classes : les attoles, les barrières et les franges de coraux. « Les îles à lagunes qui, de leur nom indien, s’appellent attoles, dit-il, ont excité un étonnement sans bornes chez la plupart des voyageurs qui ont traversé la mer Pacifique. » Dès l’année 1605, Pyrard de Laval s’écriait : « C’est une merveille de voir chacun de ces attelons, environné d’un grand banc de pierre tout autour, n’y ayant point d’artifice humain. » L’esquisse de l’île de Whitsunday, prise de l’admirable voyage du capitaine Beechey, donne une faible idée du spectacle singulier que présente un attole. Celui-ci est l’un des plus petits, et ses îlots étroits sont rapprochés en cercle comme les perles d’un bracelet).

Les premiers voyageurs imaginèrent que les polypes du corail bâtissaient d’instinct ces grands cercles, pour se protéger dans la lagune intérieure. Mais les espèces massives, dont la croissance, aux bords externes, garantit seule l’existence des récifs, ne peuvent vivre dans les eaux tranquilles de l’intérieur de l’attole, où d’autres coraux délicatement ramifiés s’épanouissent. L’hypothèse exigerait donc que des espèces, de famille et de genre distincts, se fussent concertées ensemble pour un intérêt commun ; or, il n’y a pas d’exemple dans toute la nature d’une telle combinaison. La théorie la plus généralement admise ensuite fut que les attoles sont fondés sur des cratères sous-marins ; ce à quoi s’opposent également la forme, l’étendue de quelques-uns de ces écueils, le nombre, le rapprochement, la position relative des autres. Une troisième opinion, plus spécieuse, fut avancée par Chamisso. Selon lui, la croissance des coraux étant d’autant plus vigoureuse qu’ils sont plus exposés au flux et au reflux de la haute mer, ceux du bord extérieur s’élancent toujours les premiers de la fondation commune, et déterminent ainsi la structure circulaire du récif. Ici, comme dans la théorie des cratères, une importante considération est négligée : ces zoophytes (de nombreux sondages l’ont prouvé) ne peuvent vivre et construire au-dessous de trente mètres de profondeur ; sur quelles bases auraient-ils donc fondé leurs solides édifices ?

On ne saurait admettre que, dans ces insondables et vastes mers, à de si grandes distances de tout continent, là où les eaux sont si limpides, les sables, se disposant par masses à flancs escarpés, se soient groupés çà et là, ou allongés en lignes de plusieurs centaines de lieues, pour préparer des fondements aux polypiers. Il est tout aussi improbable que des forces expansives aient soulevé, à travers ces espaces immenses, d’innombrables bancs de rochers, afin de les placer juste à la distance où les polypes peuvent s’établir, c’est-à-dire de vingt à trente mètres au-dessous de la surface des eaux. Si donc les fondations sur lesquelles les coraux élevèrent les attoles ne sont pas des dépôts de sable, si, pour atteindre la hauteur voulue, le sol n’a pu se rehausser, il a fallu qu’il s’abaissât. C’est l’unique solution probable. Ainsi donc, montagne après montagne, îles après îles, sont lentement descendues sous les vagues, offrant successivement de nouvelles bases à l’établissement des coraux. J’oserais défier d’expliquer autrement les faits ; toutes les îles étant à fleur d’eau, toutes bâties par les polypes du corail, il a fallu à toutes une base établie à la même profondeur.

Avant de nous occuper de la singulière formation des attoles, voyons un peu ce que sont les barrières de coraux. Quelques-unes s’étendent en droite ligne devant les rivages d’un continent ou d’une grande île, d’autres en environnent de plus petites ; toutes sont séparées de la terre par un large canal assez profond, et analogue aux lagunes de l’intérieur des attoles ; structure vraiment curieuse !

Par exemple, à l’île de Bola-Bola (mer Pacifique), la barrière de récifs s’est convertie en terre ; mais la ligne blanche d’énormes brisants, semés çà et là de petits îlots bas, isolés, couronnés de cocotiers, sépare les sombres vagues de l’Océan de la placide surface du canal intérieur, dont les claires eaux baignent le plus souvent une bordure de terres d’alluvion parées des plus splendides productions des tropiques. Ce ruban diapré de vives couleurs s’étend au pied des sauvages et abruptes montagnes centrales.

Ces ceintures de coraux, sont de longueurs diverses. Celle qui fait face à la Nouvelle-Calédonie d’un côté, et la cerne aux deux bouts, n’a pas moins de cent trente à cent quarante lieues. Chaque récif (à des distances qui varient d’un kilomètre jusqu’à seize et dix-huit), enclôt une, deux ou plusieurs îles rocheuses de différentes hauteurs ; l’un d’eux en renferme environ une douzaine.

La profondeur du canal n’est pas moins variable ; en moyenne, elle est de dix à trente brasses, mais peut aller jusqu’à cinquante-six. À l’intérieur, c’est le plus souvent en pente douce que le récif s’allonge sous le canal-lagune ; rarement, il s’y plonge, comme un mur vertical de deux à trois cents pieds. À l’extérieur, de même que dans les attoles, le roc escarpé, monte invariablement à pic, du fond de la mer. Étrange construction ! nous