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VOYAGES D’UN NATURALISTE

(CHARLES DARWIN).

L’ARCHIPEL GALAPAGOS ET LES ATTOLLS OU ÎLES DE CORAUX.

1858. — INÉDIT.



L’ARCHIPEL GALAPAGOS.


Groupe volcanique. — Innombrables cratères. — Aspect bizarre de la végétation. — L’île Chatam. — Colonie de l’île Charles. — L’île James. — Lac salé dans un cratère. — Histoire naturelle de ce groupe d’îles. — Mammifères ; souris indigène. — Ornithologie ; familiarité des oiseaux ; terreur de l’homme, instinct acquis. — Reptiles ; tortues de terre ; leurs habitudes.


(Lors du voyage de circumnavigation entrepris par le vaisseau de Sa Majesté britannique le Beagle, en 1838, sous les ordres du capitaine Fitz Roy, M. C. Darwin offrit son concours pour la partie scientifique, et spécialement pour les recherches d’histoire naturelle et de géologie. Agréé par l’Amirauté, il fit partie de l’expédition, et publia sous forme de journal, à son retour, les nombreuses observations qu’il avait recueillies, et qui font autorité dans le monde savant. Il a exploré la plus grande partie de l’archipel Galapagos, peu connu jusque-là, et en a signalé le premier les singulières particularités. Ce chapitre et celui où il décrit et explique la formation des atolls où îles de coraux de l’océan Pacifique, sont parmi les plus intéressants d’un livre qui abonde en faits curieux. M. Darwin ne se contente pas d’observer la surface des choses : il les approfondit, les rapproche, les compare, et, aidé de sa science et de sa perspicacité, en tire les inductions les plus lumineuses. Ce caractère particulier de son talent fait de lui un observateur hors ligne, et conserve à son ouvrage tout l’attrait de la nouveauté.)


« L’archipel Galapagos consiste en dix principales îles, dont cinq de plus grandes dimensions que les autres. Elles sont situées sous l’équateur à environ six cents milles à l’ouest des côtes de l’Amérique du Sud[1]. Toutes sont formées de rocs volcaniques. Quelques fragments de granit, altérés et en partie vitrifiés par la chaleur, peuvent à peine faire exception. Plusieurs des cratères qui dominent les plus grandes îles sont immenses et s’élèvent à plus de mille mètres. Sur leurs flancs s’ouvrent d’innombrables orifices. Je n’hésite pas à affirmer qu’il doit y avoir dans tout l’archipel au moins deux mille cratères. Ils se composent de laves et de scories, ou de couches de tuf finement stratifié ayant l’aspect du grès : ces couches, d’une symétrie admirable, ont eu pour origine des éruptions de boue volcanique, sans mélange de lave. Une circonstance remarquable, c’est que les lèvres ou bords de chacun des vingt-huit cratères qui ont été explorés, s’abaissent brusquement au sud ; parfois ils sont tout à fait brisés et font brèche. Comme tous ces cratères se sont probablement formés dans la mer, et que les vagues poussées par les vents alizés et les grosses houles de l’océan Pacifique réunissent leurs forces sur les côtes méridionales des îles, cette singulière uniformité de brisure, dans des cratères composés d’un tuf friable, s’explique aisément. Quoique cet archipel soit placé directement sous l’Équateur, le climat est loin d’y être aussi chaud qu’il l’est en général sous cette latitude, ce qui semble dû en partie à la température singulièrement basse des eaux qu’amène là le grand courant du pôle austral. Il ne tombe de pluie dans les îles que pendant une courte saison, et encore rarement et avec irrégularité. Aussi les régions inférieures sont-elles très-stériles, tandis qu’à une hauteur de trois à quatre cents mètres l’air est humide et la végétation passablement abondante, surtout dans les parties sous le vent qui, les premières, reçoivent et condensent l’humidité de l’atmosphère.

Le 17 septembre, au matin, nous abordâmes dans l’île Chatam. Son profil se dessine arrondi et peu accentué, brisé çà et là par des monticules, débris d’anciens volcans. Rien de moins attrayant que le premier aspect. Un noir chaos de laves basaltiques, jeté au milieu de vagues furieuses, couvert de broussailles rabougries donnant à peine signe de vie. Le sol, desséché sous l’ardeur du soleil de midi, embrasait l’air étouffé et suffocant comme l’haleine d’une fournaise. Les arbustes mêmes nous semblaient exhaler une senteur désagréable. Quoique je fisse diligence pour recueillir le plus de plantes possible, je n’en réunis que fort peu, si petites et si misérables qu’elles eussent mieux figuré dans une flore arctique que dans celle de l’Équateur. À très-peu de distance les buissons paraissaient aussi nus que nos arbres en hiver, et je fus quelque temps à découvrir que non-seulement presque chaque plante avait toutes ses feuilles, mais que la plupart étaient en fleurs. L’arbuste le plus commun est du genre des euphorbiacées : un acacia et un grand cactus d’un port bizarre, sont les seuls arbres qui fournissent un peu d’ombre. Après la saison des pluies la verdure se montre sur quelques points, mais pour disparaître bientôt. Le Beagle fit le tour de l’île Chatam et jeta l’ancre dans plusieurs baies. Une nuit, je couchai sur

  1. Elles appartenaient alors à la République de l’Équateur, qui, en 1855, les a vendues aux États-Unis.