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femmes de Calamatta, un plat de dorades parfumées au genièvre fumait au milieu d’un rempart de figues, de pastèques et de raisins, vrais produits de Chanaan. Le repas fut gai : le caloyer commença le récit de ses campagnes et le pappas égrena son chapelet d’épithètes à la louange de la Sainte-Montagne. Le vin de Santorin est bon quand il est dépouillé, le vin de Ténédos ne lui cède en rien, mais celui de Corinthe leur est certainement bien supérieur : ce fut l’avis général. Le caloyer en était à sa cinquième campagne, et le pappas, à bout d’épithètes terrestres, en empruntait au ciel et parlait du paradis à faire croire qu’il en revenait. On allait attaquer une outre de vin de Chypre, quand nous entendîmes sous la galerie un bruit mesuré de rames. C’étaient des pêcheurs d’éponges qui exploraient la côte. Ce spectacle coupa court à la joie générale ; car on ne peut se figurer quel horrible métier que celui de ces hommes. Nous en vîmes rester sous l’eau plus d’une minute, reparaître et replonger encore, répétant cet abominable exercice pendant plusieurs heures. Ces plongeurs ont l’apparence de noyés ; les yeux injectés de sang, les paupières gonflées, les joues bleuies et les lèvres pâles comme celles des morts. Sur le pont, deux hommes, enveloppés de larges mantes, examinaient attentivement ce que rapportaient leurs limiers amphibies…

Le soir, le bon vieux père, qui ne voulait nous laisser ignorer rien des distractions de son bienheureux séjour, nous mena à la pêche aux flambeaux. Cette pêche est la même que celle qui se fait dans la baie de Naples et sur certaines côtes de France. On allume un feu de bois résineux à la tête d’une embarcation légère et on perce d’un trident, les poissons que l’on surprend endormis. Pendant l’été, les caloyers font cette pêche et salent pour l’hiver les poissons en très-grande abondance sur cette côte.

Le lendemain, nous allâmes visiter les ruines du monastère d’Archangelos : en allant là, nous rencontrâmes un grand nombre de moines qui récoltaient les baies de lauriers dont ils fabriquent une huile très-estimée par les Turcs, et les noisettes qu’ils transportent à Constantinople.

La récolte des noisettes au mont Athos. — Dessin de Villevieille d’après M. A. Proust.

À notre retour au couvent, nous nous séparâmes de notre compagnon le pappas. Lui continuait sa route par le couvent russe ; nous, nous retournions à Kariès.

Après de nouvelles visites dans les couvents qui entourent la capitale, dans les skites, les ermitages et les cellules, nous fîmes dans les ateliers de gravures[1], une collection complète d’images qui devait nous servir à l’iconologie de la Grèce ; nous achetâmes des chapelets,

  1. Ces gravures anciennes sont sur cuivre. La lithographie a été introduite depuis peu de temps par les Russes.