on entretient avec un grand soin l’animosité de part et d’autre. J’ai entendu un missionnaire, qui revenait d’Orient et devait être bien informé, parler des chrétiens grecs à peu près comme s’il eût été question de Cafres ou de Hottentots, et bon nombre de Grecs voient toujours dans les Latins les pillards de 1204.
Le P. Nectarios était de ces derniers. Heureusement le soleil ne tarda pas à se coucher et avec lui le vieillard et son monologue.
Le lendemain, pendant que nous étions occupés dans l’église à relever les peintures de l’iconostase, un gros moine à l’encolure de buffle ne cessait de passer et de repasser devant ces fresques en y apposant les lèvres et faisant force signes de croix. Comme cet exercice se prolongeait et ne laissait pas que d’être fort gênant, nous prîmes le parti de le prier de remettre la suite de ses dévotions à un autre moment ; mais il nous répondit qu’il était tenu d’accomplir cette pénitence pendant deux heures, et il reprit son manége. Je ne pus savoir quelle faute lui avait valu cette punition.
Le 6 juin nous abordions au port de Lavra. Ce port est à l’extrémité orientale de la montagne dominée par le couvent de ce nom. Nulle part sur l’Athos il n’y a d’endroit plus sec. Le sol est crevassé et les couches de rochers mises à nu par le vent de la mer. À’époque florissante des couvents, celui-ci était le premier, le plus vaste, le plus peuplé et le plus riche. Il n’est plus aujourd’hui qu’en troisième ligne. Ses longs portiques sont muets comme des tombeaux. Les tours et les bastions tombent en décomposition, çà et là, aux galeries abandonnées pendent des touffes de lierre.
C’est à Lavra que débarqua notre habile peintre français Papety, en 1844. Il y fut assez mal accueilli, mais il s’en inquiéta peu et releva, d’après Panselinos, les dessins que possède aujourd’hui le Louvre. L’œuvre du maître est en effet là dans toute sa splendeur, œuvre complète qui comprend presque tous les sujets de la Bible et la vie de Jésus-Christ. Papety est le premier qui ait fait connaître ce génie sublime d’un coin de terre ignoré.
On peut faire à Lavra une étude complète de l’art byzantin par le rapprochement intéressant des fresques de la Trapeza d’une époque antérieure à Panselinos. À deux pas des compositions du maître au jet ferme et grandiose, ces minces figures étroitement drapées s’enlèvent sur un fond d’or avec une roideur toute académique[1]. Je me sers du mot académique, n’en connaissant pas qui rende mieux ce fait de l’inspiration maladroite de l’antique.
J’ai dit que ce qui me semblait avoir été merveilleusement compris par les Byzantins est l’effet décoratif, effet rendu même alors que le côté technique de l’art leur fait défaut. Les compositions de Panselinos se recommandent surtout par le goût parfait qu’enseigne l’étude de l’antique, et il est impossible d’imaginer quelque chose de plus simple et de plus sûr que la décoration du Catholicon de Lavra ; la facilité d’invention et le calme des lignes sont tels que l’ensemble paraît tout d’abord froid à nos yeux habitués aux raccourcis savants et aux perspectives puissantes des peintres de Venise, mais on ne tarde pas à se familiariser avec cette sobriété, et l’ordonnance générale paraît si complétement entendue qu’on est tenté de croire que Panselinos fut en même temps le peintre et l’architecte. La disposition des basiliques byzantines se prête