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caloyers russes et grecs, et deux par des Serbes et des Bulgares.

Tous sont de l’ordre de saint Basile, mais ne sont plus gouvernés d’après les mêmes lois. Autrefois, ils avaient chacun un higoumène inamovible ; mais à la suite de discussions dont je n’ai pu savoir au juste la date, l’organisation fut modifiée, et aujourd’hui dix de ces monastères seulement, dits couvents de cénobites[1], ont conservé les anciens usages ; les dix autres ont pris la dénomination de couvents libres (ou διορισμοι, distincts), et sont régis par un conseil d’épitropes renouvelé tous les quatre ans.

Les monastères des cénobites sont Iveron, Kiliandari, Dyonisios, Koutloumousis, Zographos, Philothéos, Grigorios, Xénophon, Esphigmenou et Roussicon, couvent russe.

Les dix autres couvents se nomment : Vatopédi, Lavra, Pantocrator, Xiropotamos, Dokiarios, Karacallos, Simopétra, Stavronikitas, Agios Pablos et Castamoniti.

Les représentants des monastères de Lavra, Vatopédi, Iveron et Kiliandari, gouvernent les autres, non-seulement parce qu’ils sont les plus riches et les plus anciens, mais parce qu’ils portent le titre de monastères impériaux. (Sous les empereurs byzantins il y avait trois sortes de monastères : ceux qui relevaient directement de l’empereur, ceux qui relevaient des patriarches, et enfin ceux qui appartenaient aux évêques et archevêques.) Les revenus de tous ces couvents sont produits par l’exploitation des bois, la vente des noisettes et des olives. Koutloumousis récolte à lui seul deux cent mille ocques de noisettes. Lavra, Iveron et Philotéos exploitent annuellement pour cinq cent mille piastres de bois. Outre ces produits, les monastères ont de vastes propriétés appelées Métok, en Valachie, à l’île de Thasos et sur le littoral de la Turquie d’Europe.

Sceau du monastère de Kariès.

Le jour de notre arrivée à Kariès était la veille d’un changement de gouvernement. Les epistates étaient enfermés pour procéder aux élections, et il y avait absence totale d’êtres vivants dans la cour du Konach. Au bout de quelques instants employés à nous promener dans le village, nous fûmes introduits dans une grande salle, sorte de galerie haute, ouverte sur la cour et garnie tout alentour de divans en estrades. Sur ces divans les membres de l’assemblée étaient assis à la manière turque, vêtus d’un manteau à manches amples, ouvert à la poitrine sur une robe de soie bleue ou violette, selon leur hiérarchie, et coiffées d’un kalimafki de feutre noir taillé comme une toque d’avocat. Sur les murs, lavés à la chaux d’un ton jaunâtre, ces personnages étoffés s’enlevaient merveilleusement. Le président s’avança appuyé sur sa crosse (πατεριξα), sorte de petite béquille noire garnie de nacre), et nous invita à prendre place sur le divan ; puis il ouvrit les lettres, et quand il arriva à celle du patriarche, il en baisa la signature. Un Albanais avait apporté un escabeau chargé de confitures sèches et de café, et quand chacun fut armé de sa tasse et du tchibouk de rigueur, tous nous firent des questions sur la France, sur Constantinople, et surtout sur le but de notre voyage à l’Athos. Il leur semblait étrange qu’on vînt voir de pauvres moines, quand on vivait au milieu des splendeurs de l’Occident dont on leur avait dit merveille.

En notre qualité d’artistes, le président nous dit qu’il nous logerait chez le peintre Anthimès, une des lumières de la Sainte-Montagne. Avant d’aller chez notre hôte, nous montâmes faire visite à l’aga, qui habite la seconde aile du Konack. Ce pauvre musulman est là tout à fait dépaysé, n’ayant pour compagnons qu’un secrétaire et quelques Albanais de sa religion. C’est un jeune homme de trente à trente-cinq ans, ni beau ni laid, engraissé par l’oisiveté, hébété par la solitude. Il nous accueillit avec tout l’enthousiasme d’un homme ravi de voir d’autres visages que les profils liturgiques qui l’entourent ; mais cette expansion fut de courte durée, et il retomba dans son assoupissement, dont il ne sortira vraisemblablement que le jour où il sera appelé à d’autres fonctions, ou admis à faire valoir ses droits à la retraite.

Anthimès, notre hôte, était un tout autre homme, vif, alerte et remuant. Il habitait sa petite maisonnette en compagnie d’un pappas appelé Manuel, sorte de paria qui faisait la cuisine, cultivait le jardin, nettoyait la maison, aidait le peintre dans ses travaux, l’assistait à la messe et trouvait le temps de dormir et de boire quelquefois outre mesure, malgré ces nombreuses occupations.

Pendant que nous attendions le moment d’être admis auprès du conseil, j’étais allé jusqu’au Catholicon[2]. Là entrait en même temps que moi un jeune homme. Vêtus tous les deux comme on l’est au pays du macadam, nous nous devinâmes Français. Il était peintre, s’appelait Vaudin, et travaillait avec M. de Sévastiannoff. J’avais en-


    ordres : les hiéronomaques et les pappas. Les premiers, voués au célibat, comprennent les patriarches, les énarques, métropolitains, archevêques, évêques, archimandrites et caloyers.

    Les seconds, qui peuvent se marier, sont les pappas, nommés aussi journaliers.

    Il y a quatre patriarches, qui occupent les trônes de Constantinople, Alexandrie, Jérusalem et Damas. Celui de Constantinople a la primauté synodale.

    Les caloyers du Mont Athos relèvent de ce dernier.

  1. Κοινοβιον signifie proprement communauté.
  2. On appelle catholicon l’église de la Vierge. Le mont Athos est tout entier sous l’invocation de la Vierge, et dans chaque monastère l’église principale lui est dédiée.