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Le temple de Junon Lucine repose sur une roche élevée ; des 34 colonnes cannelées d’ordre dorique qui l’entouraient, quelques-unes seulement subsistent, plus ou moins complètes. Dans le rocher sont creusées des chambres sépulcrales dont les habitants se servent pour serrer leurs récoltes.

À quatre cents pas environ, s’élève le temple dit de la Concorde, un des mieux conservés que possède la Sicile. Au moyen âge, on en avait fait une chapelle chrétienne et on l’avait dédié à saint Grégoire ; ce n’est qu’à la fin du dernier siècle qu’on l’a rendu sans partage au culte des arts. C’est un monument admirable par l’élégance et la noblesse de ses proportions (voy. p. 5).

On rencontre, en allant d’un temple à l’autre, des fragments plus ou moins considérables des murailles d’Agrigente ; des tombeaux ont été creusés dans leur masse calcaire, à différentes hauteurs, et ordinairement en forme de bouche de four.

Le temple d’Hercule que l’on voit à la suite de celui de la Concorde n’est plus qu’un amas de ruines ; une seule colonne est restée debout.

À quelques pas s’élevait le temple de Jupiter Olympien, qui, suivant Diodore, était le plus grand de la Sicile. Il ne fut jamais achevé. Des pans de murailles, des pierres colossales, des fragments de colonnes dont les cannelures peuvent contenir le corps d’un homme, des morceaux de figures dont la hauteur devait être d’au moins 12 mètres, permettent de juger encore aujourd’hui des dimensions de l’édifice.

Je signalerai enfin le temple de Castor et Pollux, dont il reste trois colonnes, et, en dehors des murailles, au sud, l’édifice carré à deux étages, qui a reçu le nom de Tombeau de Théron.


De Girgenti à Castrogiovanni. — Caltanizzetta. — Castrogiovanni. — Le lac Pergusa et l’enlèvement de Proserpine.

Le 22 septembre, au lever du soleil, je quittai Girgenti, dont les abords, embellis par la verdure variée des cactus, des grenadiers, des oliviers, des amandiers, fourmillaient de gens des campagnes qui se rendaient à la ville, les uns à pied, les autres sur des mulets portant de volumineux pains de soufre, les autres dans de petites voitures découvertes et ornées de peintures aux couleurs brillantes.

Au delà du village delle Grotte, cette fraîcheur et cette vie disparaissent ; on s’engage dans un pays montueux et aride, dont la principale industrie est l’exploitation des mines de sel et de soufre.

Après avoir déjeuné dans un fondaco assez malpropre de la petite ville de Regalmuto, nous traversons sans encombre Canicatti, dont on m’avait représenté la population comme fort adonnée au brigandage, et nous arrivons à Serra di Falco, où je reçois un témoignage de ces vertus hospitalières dont l’antiquité faisait honneur aux Siciliens.

Nous voici à Caltanizzetta. C’est une ville de 17 000 habitants ; on croit qu’elle occupe l’emplacement de l’antique Niza. Elle a été en partie renouvelée à la suite du désastre que les troupes insurrectionnelles de Palerme lui firent éprouver, en 1820, pour avoir refusé de prendre part au mouvement tenté en faveur de l’indépendance de la Sicile. On retrouve dans ses églises les images sanglantes du Christ et des damnés entourés de flammes que les Siciliens affectionnent particulièrement. Caltanizzetta possède des eaux minérales, et ses habitants font un assez grand commerce de sel et de soufre. Son territoire est abondant en vin, grains, huiles, amandes et pistaches. Une route carrossable de quatorze milles d’étendue part de Caltanizzetta et va rejoindre celle qui unit Palerme à Messine.

On aperçoit longtemps Castrogiovanni avant de pouvoir y parvenir ; il faut franchir bien des montagnes, traverser de nombreux ruisseaux, avant de gravir la route en zigzag qui conduit au sommet dans lequel s’enfonce cette ville, l’antique Enna, le point central, l’ombilic de la Sicile, comme disaient les anciens. Sa population, qui est de plus de 13 000 âmes, a un aspect assez misérable. Les cochons et les poules vaguent à travers les rues. Les mendiants, hommes et femmes, sont à peine vêtus. Le costume des gens aisés a quelque caractère : les hommes portent la culotte courte et les chausses attachées avec des courroies de cuir ; les femmes se couvrent, soit de la grande mante noire qui ne laisse voir que leur visage, soit de la mantille noire ou brune.

La cathédrale, en partie gothique, en partie construite à l’époque de la Renaissance, est soutenue à l’intérieur par des colonnes d’albâtre noirâtre très-artistement ornées. On y remarque un candélabre antique en marbre blanc, venu, dit-on, du temple de Cérès, une inscription mentionnant le martyr Primus, de très-belles stalles en bois du seizième siècle, un Christ de Cimabuë, et des tableaux du Fiammingo.

C’est aux environs d’Enna, sur les rives du lac Pergus, aujourd’hui Pergusa, que le dieu des enfers enleva la fille de Cérès. Les paysans montrent une grotte qui, disent-ils, est l’ouverture infernale, d’où Pluton s’élança sur la terre pour surprendre la jeune déesse.


De Castrogiovanni à Syracuse. — Calatagirone. — Vezzini.

Après avoir fait le tour du lac Pergusa, je repris le chemin qui, par Piazza et Calatagirone, devait me conduire à Syracuse.

Piazza était appelée dans l’antiquité Plutea ou Plutia, à raison de la richesse de son terroir. Ses habitants passent pour les descendants des Français qui y séjournèrent lors de la domination angevine. Ses campagnes, surtout du côté de Calatagirone, méritent encore aujourd’hui l’épithète d’opulentissimes qu’elles avaient reçue des anciens. Les monts et les vallons que l’on traverse sont tapissés d’herbe verdoyante, garnis de vignes, de roseaux, d’arbres du nord et du midi ; la route, bordée par de grands chênes qui forment au-dessus d’elle une voûte ombreuse, rafraîchie par de petits ruisseaux qui, de place en place, descendent des sommets, est une des plus délicieuses que j’aie vues. Au delà du village de Maccare, ou j’ai eu grand’peine à trouver à