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aussi simples entourent une statue de bois de trois pieds de haut et représentant un homme assis. Ses traits, ses vêtements qui n’ont rien du style chinois, ses pieds joints et posés à plat, ses mains étendues le désignent assez pour une idole du culte de Bouddha, culte qui a fourni aux Cochinchinois une grande partie de leurs superstitions et dont on retrouve dans toute leur contrée des monuments d’une antiquité fort reculée (voy. p. 57).

On ne sait si cette religion est venue en ce pays de la Chine, ou s’il n’y a pas été déposé par des missionnaires indous ou cingalais, à l’époque de la grande prédication bouddhiste. Toujours est-il que les dogmes moraux de Sakhia-Mouni ne sont connus dans l’Annam que d’une minorité imperceptible, et que la plupart des grands de l’État, aussi ignorants que la masse populaire, croient aux sorciers, au diable, aux bons et aux mauvais génies des quatre éléments. Pour un Cochinchinois, les os de tigre réduits en poudre, la cendre de cornes de cerf, et la cervelle d’éléphant sont doués d’admirables propriétés. Celle-là rend léger à la course le lourdaud le plus épais, celle-ci donne du cœur au plus lâche gredin, enfin la dernière, plus précieuse encore, peut faire d’un imbécile un mandarin lettré. Bien d’autres recettes aussi infaillibles ont cours parmi les pauvres Annamites ; ils les tiennent sans doute de leurs voisins les Chinois, qui pourraient très-bien les avoir transmises à des populations moins éloignées de la Seine et de la Tamise.

Au moment de fermer mon courrier, j’ai à vous rendre compte d’un succès significatif pour nos armes. Depuis l’affaire du 15 septembre, les Cochinchinois, repliés au nord du ravin, concentraient leurs forces et élevaient de nouveaux retranchements sur un mont élevé qui domine à la fois la route de Hué à son entrée dans les montagnes, et les abords de la presqu’île de Callao. Cette position leur permettait de se maintenir en face de nous dans une situation toujours menaçante, de recevoir des vivres, des munitions et des renforts de toute sorte. Le contre-amiral Page comprit qu’avant de reporter la majeure partie des forces dont il dispose dans le nord de la Chine, il lui fallait rejeter les Cochinchinois au delà de la ligne de faîte des montagnes ; en conséquence, le 18, à quatre heures du matin, la frégate Némésis, le Phlégéton, deux canonnières, un transport et une corvette espagnole quittaient le mouillage, se rendaient de l’autre côté de la baie de Tourane, à trois lieues environ, et s’embossaient devant des fortifications de l’ennemi, qui ouvrit immédiatement un feu aussi soutenu que meurtrier. La frégate Némésis, portant le pavillon de l’amiral, fut particulièrement le point de mire des pièces ennemies, et a eu fort à souffrir durant les premiers moments de l’attaque : un timonnier a eu la tête emportée aux côtés de l’amiral ; quelques moments après, un chef de bataillon du génie, auquel il donnait un ordre, a été coupé en deux ; le commandant de la frégate recevait en même temps une blessure à la tête ; un enseigne de vaisseau, M. de Fitzjames, était atteint par un éclat de bois ; un élève était blessé au bras. Cependant le feu plus précis de nos marins ne tarda pas à prendre le dessus ; une immense colonne de feu et de fumée s’élevant dans les airs, nous apprit qu’un de nos boulets avait donné en plein dans un magasin à poudre, et l’amiral chargea son chef d’état-major, M. de Saulx, d’opérer la descente à terre et de s’emparer du fort principal. À la tête d’une colonne de 300 hommes, cet officier exécuta cet ordre avec entrain et promptitude, et, malgré la vive résistance des Annamites et les difficultés du terrain, enleva son détachement avec vigueur, pénétra le premier dans l’ouvrage, et bientôt de tous les points de la baie on put voir le pavillon français flotter sur le point culminant. L’affaire avait duré trois quarts d’heure, nous avait coûté des pertes sensibles, mais avait amené un important résultat en nous rendant maîtres de la route de Hué, la seule voie ouverte à nos ennemis, et par où ils tiraient toutes leurs ressources. Désormais toutes les pentes extérieures et les crêtes des montagnes qui entourent la baie sont à nous, et nous pourrons descendre sur les revers opposés dès que nos chefs le jugeront opportun.

X.

(Toute la partie descriptive de cet article paraît très-exacte : mais peut-être convient-il de n’admettre qu’avec réserve quelques-unes des appréciations relatives à la population cochinchinoise et aux conséquences de notre expédition : nous reviendrons sur ce sujet.)




NOUVELLES DÉCOUVERTES DU DOCTEUR LIVINGSTONE.


Le nom de ce voyageur est célèbre à juste titre. Plus de cinquante mille exemplaires de la relation de ses voyages dans l’Afrique australe[1], l’ont popularisé dans les deux mondes. Peu d’existences humaines renferment de plus salutaires exemples et de plus hautes leçons que celle de cet enfant du peuple, qui, enchaîné à dix ans, et dix heures par jour, au mécanisme d’une filature de coton, trouve le temps pendant la nuit d’étudier les langues anciennes, les lettres, les sciences naturelles, conquiert successivement les grades de docteur en médecine et en théologie, et, missionnaire à vingt-cinq ans, court se placer tout d’abord à l’avant-garde de ces pionniers dévoués de la civilisation et de la foi chrétienne, que les sociétés des missions de Paris et de Londres entretiennent depuis le commencement du siècle au nord de la colonie du Cap. Là, Livingstone, prenant comme but l’extirpation de la traite des noirs, et comme moyen l’exploration complète des régions exploitées par cette monstrueuse iniquité, se dévoue, tout entier à cette œuvre, sous la griffe des lions, comme sous les flèches des sauvages ; découvre successivement le lac Négami, les affluents supérieurs

  1. Explorations dans l’intérieur de l’Afrique australe, et voyages à travers ce continent, etc., etc., de 1840 à 1856. London, Murray, 1858. — Paris, Hachette, 1859.