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premiers 30 kilomètres, tout alla à merveille, et nous entrâmes dans le caravansérail de Bentotte, qui est en même temps une station télégraphique. Les bâtiments ont quelque analogie avec les salles d’attente de nos chemins de fer ; ils ont été construits aux frais du gouvernement. On y trouve un abri commode et une bonne nourriture au prix d’un tarif affiché contre la muraille. Pour un déjeuner à la fourchette, on paye 1 fr. 80 c. et pour un dîner 3 fr. 60 c.

Pendant notre déjeuner, le cocher qu’au départ on nous avait fort vanté, s’enivra de manière à ne plus pouvoir se tenir sur ses jambes. Un sergent de police à qui nous demandâmes un nouveau conducteur ne voulut ou ne put accéder à nos désirs. Il fallut donc nous contenter de notre homme, qui, à la distance d’un kilomètre, tomba sous la roue, mais sans se faire grand mal. Le cheval profita de l’occasion pour ne plus avancer d’un seul pas ; c’est la coutume du pays de n’atteler aux voitures des voyageurs, quelle que soit leur pesanteur, qu’un seul cheval maigre, efflanqué, piteux. De plus, on ne relaye que tous les 10 ou 15 kilomètres ; aussi, pour faire marcher le pauvre animal, a-t-on recours a des expédients de bourreau. On lui tord les oreilles avec des ficelles, on introduit une barre sous sa queue, et dès que la bête, exaspérée, prend un temps de galop, le cocher crie, jure, fouette, rosse pour maintenir le pas de course. On pourrait s’attendre à plus d’humanité sur cette terre sacrée de la foi aux transmigrations.

Portrait du capitaine Wullerstorf Urtair, directeur en chef de l’expédition scientifique de la frégate la Novara (Die illustrirte Zeitung)

Nous n’arrivâmes qu’après des peines inouïes à une mission catholique où nous trouvâmes un nouveau cheval et un nouveau cocher, qui nous conduisirent à une seconde mission. Le prêtre Miliani insista pour nous y faire accepter une tasse de café et une invitation à déjeuner avec lui lors de notre retour de Colombo. On se remit en marche par la nuit noire ; heureusement la route était éclairée çà et la par les indigènes qui s’en allaient à leurs gîtes avec des lambeaux de bois de palmier, jetant de vives étincelles et répandant au loin les plus suaves odeurs. Minuit sonnait quand nous entrâmes dans Colombo.

Comme presque toutes les villes de l’Inde, Colombo se compose de deux quartiers, la ville blanche avec le fort, où se concentre la population européenne qui a seule le droit d’y ouvrir boutique, et la ville noire, où les Anglais n’entrent que bien rarement, mais qui est incontestablement la plus active et la plus industrielle, la plus intéressante des deux. Toutefois Colombo, ville de 36000 ha-