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VOYAGE DE CIRCUMNAVIGATION
DE LA FRÉGATE AUTRICHIENNE LA NOVARA.


(1857-1859)



La frégate autrichienne la Novara est le dernier navire qui ait fait un voyage scientifique autour du monde. Partie de Trieste le 30 avril 1857, elle est rentrée dans ce port au mois d’août 1859. Construite dans les chantiers de Venise, il y a une dizaine d’années, c’est un des plus beaux des dix bâtiments de cette classe que possède l’Autriche. Elle peut être armée de quarante-quatre canons, mais elle n’en portait que trente-deux pendant son voyage autour du monde : on avait ainsi allégé le navire et augmenté l’espace réservé aux collections que devait recueillir l’expédition.

Cette grande exploration, conçue d’abord, puis organisée par l’archiduc Maximilien, commandant en chef de la marine autrichienne, avait pour but principal de fournir aux jeunes officiers de marine l’occasion de se familiariser avec la navigation de différentes mers, d’arborer le pavillon autrichien dans des lieux où il n’a pas encore été vu, et de donner aux professeurs de sciences naturelles les moyens d’acquérir des connaissances plus étendues et plus variées.

La direction en chef de l’expédition avait été confiée au capitaine de vaisseau Wullerstorf Urtair, marin érudit et habile. C’est lui qui a présidé aux études et aux recherches de la commission scientifique, de même qu’aux divers travaux astronomiques, météorologiques, magnétiques et géodésiques, exécutés par les officiers de marine. La frégate était commandée par le capitaine baron de Pock, qui avait sous ses ordres un état-major d’une trentaine d’officiers, y compris trois médecins et un aumônier. L’équipage comptait 310 hommes. Au nombre des membres de la commission se trouvaient un géologue, deux zoologistes, un botaniste, un collectionneur de botanique, un ethnographe, un économiste et un dessinateur.

La relation officielle du voyage de la Navara ne doit être publiée qu’au printemps prochain : mais nous pouvons, dès aujourd’hui, indiquer son itinéraire, et donner une idée générale de ses travaux en faisant quelques emprunts aux publications périodiques allemandes et à la correspondance d’officiers ou de savants attachés à l’expédition, notamment aux, lettres du docteur Scherzer, naturaliste, chargé des études ethnographiques.

D’après un rapport particulier adressé par M. Scherzer à la Société de géographie de Paris, l’expédition entière a duré deux ans trois mois et vingt-huit jours. De ce temps, deux cent quatre-vingt-dix-huit jours ont été employés en relâches et en explorations à terre ; et cinq cent cinquante et un jours sous voiles. La frégate a mouillé dans vingt-cinq ports différents, et a parcouru dans son voyage de circumnavigation 51 686 milles marins, ou 95 722 kilomètres[1].

Les premières relâches de la Navara, à Rio-Janeiro et ensuite au cap de Bonne-Espérance, ne nous apprenant aucun détail bien nouveau, nous passons immédiatement à l’arrivée de la frégate a l’île Saint-Paul, dans la mer des Indes.

SAINT-PAUL.

Il nous tardait d’aborder enfin à un endroit dont l’exploration nous fit quelque honneur près de Petermann[2] et de l’Institut géographique de Gotha[3]. — Ce ne fut donc pas sans émotion qu’après vingt-quatre jours d’une pénible navigation, employés (du 26 octobre au 19 novembre) à traverser 2770 milles marins, nous vîmes se dégager, du milieu des vapeurs lointaines, les deux îles volcaniques de Saint-Paul et d’Amsterdam qu’Alexandre de Humboldt nous avait recommandé de visiter, et qui devaient être le théâtre de nos premiers exploits[4].

Nous avions à peine jeté l’ancre à 1 mille et demi du bord, que la population tout entière de l’île, composée de deux mulâtres et d’un vieux Français à longue barbe grise, vint à notre rencontre. Le Français, M. Viot, nous offrit ses services avec une politesse exquise, et mit tout le pays a notre disposition. Il nous raconta qu’en vertu du droit de premier occupant, l’île était d’abord devenue la propriété d’un négociant français de l’île Bourbon ou de la Réunion, M. Camin, qui en avait cédé l’exploitation à un certain Polonais, M. Adam, son associé. Celui-ci avait acheté de malheureux nègres de Mozambique, et les avait forcés à lui construire quelques habitations, à faire sauter des quartiers de roche pour améliorer l'abordage, et à cultiver quelques carrés de choux et de pommes de terre. Depuis une dizaine d’années, la possession de l’île a été transférée a un M. Otovan, fournisseur des navires à Saint-Denis (île de la Réunion). Deux fois par an, ce nouveau souverain de l’île expédie une goëlette d’une quarantaine de tonnes pour pêcher dans

  1. Rappelons que le mille commun marin est de 60 au degré, soit 1852 mètres, et le mille allemand de 15 au degré ou de 7 kilomètres 408 mètres. Le narrateur se sert ici du mille commun.
  2. Le docteur A. Petermann est le directeur d’un recueil géographique très-estimé publié à Gotha par M. Jules Perthes : Mittheilungen ans Justus Perthes’ Geographischer Anstalt uber wichtige neue Erforschungen auf dem Gesammtgebiete der Geographie.
  3. L’Institut géographique de Gotha est l'œuvre et la propriété du même savant éditeur M. Jules Perthes. Il a pour but spécial la publication de travaux géographiques de toute nature.
  4. Humboldt désirait sans doute faire vérifier si les îlots de Saint-Paul et d'Amsterdam sont réellement volcaniques. Il s’exprime dubitativement à ce sujet dans le Cosmos (traduction française, t. IV, p. 430 et 431.) L’îlot de Saint-Paul est situé par 38°38’.