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dans tous ses détails. Cette satisfaction ne me fut pas donnée[1]

« Après la ruine de Jérusalem par Titus, le temple de Salomon ne fut pas relevé, malgré la ferveur de l’impératrice Hélène, malgré les ordres de l’empereur Julien ; mais dès que le calife Omar se fut emparé de la ville sainte, sa première pensée fut de retrouver la pierre sur laquelle Israïl Ullah (l’homme nocturne de Dieu), le prophète Jacob, avait la tête appuyée lorsqu’il eut sa vision. Par son ordre, on dégagea cette pierre des immondices qui la couvraient, et il fit bâtir à côté une mosquée qu’il appela en son honneur Es Sakhra (la pierre). De ce moment, cette mosquée fut un sanctuaire très-révéré des musulmans ; mais sa plus belle période de splendeur date du jour où Abdul Melik Ier, par haine des antikhalifes, défendit le pèlerinage de la Mecque et remplaça la Kaaba par le temple de Jérusalem ; alors, elle reçut des agrandissements considérables : la pierre sacrée fut renfermée dans son enceinte, son dôme fut couvert de lames de cuivre doré, ses murs furent revêtus de marbre et d’arabesques d’or. Convertie en église par les croisés, si elle fut, peu de temps après sa consécration par le légat du pape Innocent II, rendue au culte de l’islam, c’est que les armes victorieuses de Saladin (Salah Eyddin) lui avaient ouvert les portes de Jérusalem. On raconte que ce prince fit laver entièrement la mosquée avec de l’eau de rose afin de lui enlever toute trace des souillures chrétiennes.

« Aujourd’hui encore, après Médine et la Mecque, Jérusalem est la ville la plus sainte pour tout croyant, et chaque année de nombreux hadji (pèlerins) viennent à Es Sakhra prier Mohammed d’intercéder pour eux auprès de l’Éternel.

« L’imagination poétique des Orientaux a confié la garde de cette mosquée à soixante-dix mille anges qui, pour moi, se sont personnifiés en deux cents nègres nourris, logés et entretenus aux frais du Wakouf. Leurs maisons, situées autour de l’esplanade, lui ôtent beaucoup de son caractère. Pénétrons donc tout de suite sur le parvis. Douze portiques à colonnes, encore existants, devaient jadis y donner entrée, mais on n’y monte plus maintenant que de quatre côtés par un escalier de marbre ayant huit degrés.

« Au milieu de ce parvis s’élève la mosquée, vaste bâtiment octogone, dont chaque pan a vingt mètres de face et est percé de sept fenêtres ogivales ; il est entouré d’un attique au centre duquel se trouve un dôme soutenu par quatre contre-forts ; entre chaque contre-fort, on remarque quatre fenêtres cintrées ; le tout est couronné d’une coupole ovoïde recouverte de lames de plomb, et se terminant par un croissant supporté par une flèche. L’ensemble du monument est d’un aspect saisissant, surtout lorsque les rayons du soleil viennent se jouer sur les mosaïques en faïence de couleur dont les murs sont ornés jusqu’à l’appui des croisées inférieures. Aux quatre points cardinaux, existe une porte ; celle du nord s’appelle Bab el Djinné ; celle de l’est Bab Daoud ; au sud est Bab el Kiblé ; à l’ouest Bab el Garb.

« Avant d’entrer par la porte de l’est ou de David, nous avons à notre gauche un élégant pavillon à jour, soutenu à l’extérieur par onze colonnes de marbre et à l’intérieur par six. C’est le Meckhémé du Khalifet Ullah, l’endroit où David, le vicaire de Dieu, rendait la justice. Sa tâche était alors facile, puisqu’il lui suffisait de faire prêter serment aux parties, la main tendue vers une longue chaîne qui descendait du ciel ad hoc, et perdait un de ses anneaux à chaque parjure…

« Tout d’abord, lorsque l’on entre dans la mosquée, on a de la peine à distinguer les objets ; le jour pénètre difficilement à travers les vitraux de couleur emplâtrés à la manière arabe, pour les assujettir aux châssis ; peu à peu cependant les yeux se font à cette demi-obscurité et sont frappés de la riche simplicité de ce sanctuaire. Le sol, comme les murs, est revêtu de marbre gris ou blanc ; vingt-huit colonnes d’un marbre brun forment une nef concentrique, un second rang de seize colonnes soutient le dôme, couvert d’arabesques dorées. Immédiatement au-dessous de ce dôme se trouve la roche sacrée[2] qui est isolée du reste de la mosquée par une balustrade en bois d’un travail remarquable. Elle est en outre abritée par un Khymé en satin rouge qui rappelle la tente donnée en cadeau par Dieu à Adam, lorsqu’après cent ans de séparation, notre premier père eut retrouvé Ève sur une montagne près de la Mecque.

« Ce rocher n’est pas seulement recommandable par le souvenir de Jacob, il porte encore l’empreinte qu’y laissa le pied du prophète Énoch surnommé Idriss (le studieux) au moment de son ascension au ciel. Près du pied d’Énoch, on nous montre cinq autres trous qui sont l’œuvre de l’archange Gabriel. Lorsque Mohammed s’enleva au ciel sur El Boraq, notre rocher voulut le suivre ; alors le ministre de l’Éternel l’arrêta de la main, et ses doigts y sont restés gravés.

« Finissons-en de suite avec les traditions qui se rapportent à ce rocher. Suspendu dans l’espace, il ne s’appuie que sur un palmier invisible, qui est lui-même soutenu par les mères des deux grands prophètes Jésus et Mohammed. Ces deux bienheureuses restent éternellement assises près de la source universelle et s’occupent à tisser des vêtements pour les justes qui auront traversé le Sirath sans trébucher. Cette fable a sans doute un sens allégorique, mais je n’ai pu le pénétrer ; je la donne telle qu’elle est, me bornant à rectifier ce qui est relatif à la suspension aérienne. Cette roche fait partie du sol même, elle y est encore adhérente du côté occidental, et la couche de plâtre dont est recouvert le point de jonction, dans la crainte que le support invisible ne vienne à manquer, sert aussi à maintenir dans leur erreur les Croyants trop crédules.

« La tradition juive fait de ce rocher le support de l’arche d’alliance ; après la captivité et la perte de l’arche,

  1. Pour combler la lacune involontairement laissée par l’auteur, nous intercalons ici une visite à la mosquée d’Omar, extraite de l’ouvrage publié récemment par M. Gérardy Saintine, sous ce titre : Trois ans en Judée (Hachette). M. Gérardy Saintine a dû la faveur d’étudier à loisir cette célèbre mosquée à la bienveillance du gouverneur Kiamil-Pacha.
  2. 19 mètres de long sur 14 de large.