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sur le Colorado. Les Mohaves, suivant Bartlett, sont une grande nation de guerriers, aux formes athlétiques, qui habitent à 150 milles au-dessus de l’embouchure du Gila ; l’exactitude de cette assertion fut confirmée par nous. Notre expédition n’est pourtant pas la première qui ait eu des relations avec ces indigènes ; outre les chasseurs de pelleteries, pour qui le Far West n’a pas de secrets, le capitaine Sitgreaves les avait visités deux ans auparavant ; mais leur attitude était alors hostile.

« Une des plus anciennes descriptions des indigènes du Colorado inférieur et du Gila est celle de Fernando Alarchon, qui en 1540, sur l’ordre du vice-roi de la Nouvelle-Espagne, explora le golfe de Californie, découvrit à cette occasion l’embouchure du Colorado, et remonta le fleuve à quelque distance, malgré de grandes difficultés. Les indigènes, dit-il, sont des hommes robustes et bien bâtis, armés d’arcs, de flèches et de haches en bois durci au feu. Il parle de leurs pierres à moudre le grain, de leurs poteries d’argile, de leur maïs et de leur miquiqui (probablement les fruits du mezquit). D’après son témoignage, ces Indiens adoraient le soleil et pratiquaient la crémation des cadavres.

« Le lieutenant Whipple, qui a visité le Colorado avec M. Bartlett, trace ainsi le portrait des Indiens Yumas, vivant à l’embouchure du Gila : « Un des chefs, nommé Santiago, nous conduisit au village de sa tribu. Les femmes sont corpulentes ; leur habillement consiste en un jupon frangé, en écorce d’arbre, attaché autour des reins, et qui tombe à mi-cuisse. Les hommes sont grands, musculeux, bien bâtis. Leur physionomie est agréable et animée par l’intelligence. Les guerriers portent une ceinture ou plutôt un tablier blanc (weissen schurz) ; leur chevelure, ornée de plumes d’aigle, tombe en tresses au milieu du dos. Ce sont d’excellents cavaliers qui manient l’arc et la lance avec adresse. Ces Indiens nous entretinrent de fèves, de melons et d’herbes. »

« À part l’abondance de chevaux dont il est ensuite parlé, cette description des Yumas peut s’appliquer aux Mohaves, ou mieux à la plupart des tribus qui vivent sur le Colorado. Existe-t-il, entre elles, un lien de parenté ? Il faudrait, pour le savoir, comparer les idiomes ; ce qui sera possible quand tous les vocabulaires recueillis par les officiers envoyés en mission par les États-Unis, auront été livrés à la publicité. »

L’expédition du lieutenant Whipple n’était pas chargée de résoudre ces questions géographiques et philologiques ; elle avait un but plus matériel. Depuis l’embouchure du Bill Williams Fork, les voyageurs avaient remonté pendant trente-quatre milles le Colorado (ils se trouvaient à 122m,64 au-dessus du niveau de la mer, ayant monté de 53m,32 dans ce trajet), ils pouvaient donc apprécier déjà la nature de ce fleuve, et les obstacles qu’il opposerait à la colonisation. Le principal, c’est que les bateaux à vapeur ne peuvent remonter le Colorado à une grande distance ; le sol sans doute est fertile, mais il n’y a pas assez d’espace pour entreprendre, sur une vaste échelle, l’agriculture et l’élève du bétail ; ce qui manque aussi, c’est le bois.

« Le Rio Grande est, il est vrai, aussi peu navigable que le Colorado, et ses rives ne sont couvertes que de rares forêts ; mais l’extrême fertilité de la terre y favorise le développement de l’agriculture. Si le Colorado eût présenté les mêmes avantages, les missionnaires espagnols y auraient fondé, comme sur le Rio Grande, des établissements et des villes ; on ne trouve qu’une mission espagnole en ruines dans le voisinage du Gila. Quand la vallée du Colorado sera traversée par un chemin de fer, il ne manquera pas de colons ; on y trouvera toutes choses en abondance, et les étroites vallées seront cultivées ; mais il ne faut guère compter sur la navigation du Colorado, quoique au dix-neuvième siècle, avec de légers bateaux à vapeur, elle soit plus facile que jadis avec les bâtiments à voiles. La plus grande difficulté vient du flux qui monte et redescend avec une violence extraordinaire, et a toujours arrêté ceux qui voulaient explorer le fleuve ; c’est ce qui eut lieu, il y a trois cents ans, quand les Espagnols parcoururent le golfe de Californie, pour savoir si ce pays, dont ils ne connaissaient encore que la presqu’île et les côtes, était entièrement séparé de la Nouvelle-Espagne par le prolongement du golfe, ou bien s’il adhérait à la terre ferme. Ce n’est qu’en 1700, que le P. Kino put se convaincre que la Californie tenait au continent de l’Amérique et qu’elle n’en était séparée que par le Colorado. En 1540, Fernando Alarchon découvrit l’embouchure du Colorado ; il a raconté les dangers auxquels les vaisseaux furent exposés ; comment on ne les sauva qu’avec peine, et la tentative qu’il fit pour remonter le fleuve avec des bateaux qu’on remorquait ; il employa dans cette opération quinze jours et demi, tandis que pour retourner à ses navires, il ne mit que soixante heures.

« En 1746, nouvelle tentative du P. Gonzague, qui dut abandonner son entreprise à cause de la violence du courant. Dans les derniers temps, avant que la Californie appartînt aux États-Unis, l’embouchure du Colorado fut explorée par un lieutenant de la marine anglaise, M. Hardy ; ses indications sont en général exactes, sauf la position qu’il assigne à l’embouchure du Gila dans le Colorado, à dix milles au-dessus de l’endroit où le Colorado se jette dans le golfe de Californie, tandis qu’en réalité, elle est à plus de cent milles.

« La partie du fleuve que nous eûmes occasion de voir est profonde, rapide et assurément navigable avec des bateaux à vapeur, excepté aux endroits où il y existe des chutes d’eau, ce qui nécessitera l’établissement de canaux, et au-dessous de l’embouchure du Bill Williams Fork, où le fleuve est resserré entre des rives étroites. »


Un désert entre le Colorado et la rivière Mohave. — Écailles de tortues près des sources. — Le Soda Lake. — Meurtre d’un Mexicain. — Le Spanish Trail. — Les monts San Bernardino. — Un crâne. — Los Angeles.

Le 29 février, on se remit en route pour remonter le Colorado et atteindre la rivière Mohave, qui traverse presque tout l’espace entre le fleuve que nous venons de nommer et l’océan Pacifique. Les voyageurs comptaient