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convaincre de la pétrification. Quand on les heurtait, ils se brisaient en morceaux pareils à des copeaux.

« Nous en recueillîmes plusieurs échantillons, en regrettant de ne pouvoir emporter des blocs d’une grande dimension. Nous cherchâmes en vain des empreintes d’herbes et de plantes ; les seules choses que nous trouvâmes, outre les blocs de bois, furent des débris de fougères que nous primes d’abord pour des bois de cerf brisés. »

Les voyageurs campèrent, pour la première fois, sur les bords du Colorado Chiquito, dans les premiers jours de décembre. C’est une petite rivière, mais ses eaux sont rapides et abondantes. Elle sort de la chaîne nord de la Sierra Mogoyon, coule vers le nord-est ; reçoit les petites rivières Dry et Burnt Fork ; mais, à cet endroit, elle se détourne vers le nord-ouest, se réunit au Zuñi et au Puerco (34° 53’ de lat. nord et 110° de long. ouest de Greenwich), et va enfin se jeter dans le Rio Colorado de l’ouest.

Sur les bords de cette rivière, au sommet d’une colline, se trouvent des mines semblables à celles que nous avons déjà décrites ; et à quelques jours de marche de cet endroit, à l’ouest, sur la même rivière, mais près de son embouchure, le capitaine Sitgreaves a visité d’autres ruines, au sujet desquelles il a adressé un rapport au gouvernement des États-Unis. Ici M. Möllhausen revient sur son idée, à savoir qu’une migration continue a été l’unique cause de l’abandon de ces villes ; que les tribus ont quitté la vallée du Colorado Chiquito, « quand elles ont appris que plus au sud, près du Gila, et à Chihuahua, il y avait des vallées plus étendues, et un sol plus fertile ; et là, elles ont bâti les Casas Grandes, qu’elles abandonnèrent également, dès qu’elles eurent connaissance des pays fortunés qui existaient plus loin au midi. » L’auteur compare les ruines qu’il a visitées depuis le commencement de son voyage avec les Casas Grandes sur le Rio Gila, sur le Rio Salinas, et à Chihuahua, d’après la description qu’en a donnée Bartlett, et il en conclut qu’elles proviennent d’un seul et même peuple.

La saison s’avançait ; la neige commençait à tomber, et l’on entrait dans la région des volcans. Le vent du nord faisait tourbillonner la poussière de lave. Les voyageurs découvrirent un ravin, dont le flanc était un mur de lave refroidie, sillonné de crevasses.

« Les sauvages s’y étaient à peu de frais construit un abri, triste abri à la vérité, mais assez bon pour des Indiens aussi misérables que les Tontos et les Yampays. Le sol était recouvert de terre fortement tassée pour rendre les pointes de lave moins saillantes et permettre aux hommes nus de s’étendre à leur aise ; des murs en terre assez minces divisaient l’espace en petites chambres communiquant entre elles par des ouvertures aussi étroites que les portes et ne laissant passer qu’une personne à la fois : le souterrain ne paraissait pas avoir été habité depuis longtemps, car nous n’y trouvâmes aucune trace du séjour des indigènes ; mais ces Indiens ont si peu d’objets mobiliers, et le peu qu’ils possèdent leur est si nécessaire, qu’ils ne doivent jamais perdre ou oublier la plus petite bagatelle. Les cavernes ne sont probablement habitées que pendant l’été, et, à l’approche de l’hiver, très-rigoureux dans ces contrées, ils descendent dans les vallées où ils se garantissent mieux du froid. »

La fête de Noël fut célébrée par des libations de punch en rase campagne sous un froid de 7° Réaumur, vis-à-vis les montagnes San Francisco (voy. p. 365) ; le lendemain 26, « nous aperçûmes la chaîne dans toute sa majesté ; il y avait encore une distance de 10 milles jusqu’à la base, mais nous pouvions parfaitement en distinguer la structure ; quatre cimes principales couvertes d’une neige éblouissante dominaient toute la chaîne. D’autres montagnes s’y appuyaient, à la vérité, et paraissaient liées avec elles ou du moins en être issues ; mais elles ne servaient qu’à compléter le caractère de ces anciens volcans, qu’on ne pouvait méconnaître, quand même on n’eût pas été prévenu de leur voisinage par la marche des jours précédents à travers un sol volcanique. Des torrents de laves s’étaient creusé un lit profond ; c’étaient maintenant des ravins boisés serpentant sur les flancs de la montagne, depuis le sommet jusqu’à la base, et s’élargissant à mesure que de petits ruisseaux latéraux venaient y déboucher. Des forêts de pins et de cèdres montaient jusqu’à mi-côte ; là, le bois s’éclaircissait, puis la végétation cessait tout à fait, et plus d’un tiers de la hauteur était enveloppé d’une neige immaculée où les inégalités du sol et les fissures se détachaient comme des ombres légères. » Des troupes d’antilopes et de cerfs à queue noire parcourent ces forêts, mais l’animal le plus curieux est une espèce particulière d’écureuil (sciurus dorsalis S. Abertii) connue seulement depuis peu de temps ; sa longueur est de 0m,648, depuis la pointe du museau jusqu’à l’extrémité de la queue ; il a des oreilles larges, presque rondes, poilues à l’intérieur et à l’extérieur, et plus encore aux extrémités ; sa couleur est gris sombre, à l’exception d’une raie sur le dos et sur le derrière des oreilles, laquelle est d’un beau brun foncé. Une ligne noire sur le flanc forme la démarcation entre la teinte du dos et celle du ventre, qui est blanche ; le dessous de la queue est également blanc, le dessus est gris avec de longs poils blancs très-saillants. »

Le 27, on faisait halte à la source Leroux (ainsi nommée d’après le guide qui l’avait découverte). C’était le point le plus élevé depuis le passage de la Sierra Madre ; il est a 2490 mètres au-dessus du niveau de la mer. Depuis le fort Smith, on avait parcouru 1239 milles, et depuis Albuquerque 405.

L’année 1854 s’annonça par le froid le plus intense. Pour se procurer un peu de chaleur, les voyageurs étaient obligés de rouler dans le feu des blocs de lave qu’ils laissaient la nuit dans leurs tentes, ayant remarqué que ces scories se refroidissaient moins vite que d’autres pierres. Le mont Sitgreaves (ainsi appelé d’après le capitaine américain de ce nom) avec son cortége de collines, cacha pendant quelque temps la perspective des montagnes San Francisco, au nord. Au sud-ouest, se montraient distinctement les monts Bill Williams, groupe d’anciens volcans, couverts aujourd’hui de pins et de cèdres ; de