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une vingtaine de personnes. Les fentes de ces grottes paraissaient être le repaire de serpents ; nos gens en prirent quelques-uns d’une grandeur extraordinaire. Les roches surplombantes étaient tapissées de petits nids d’hirondelles ; on essaya d’en détacher plusieurs pour les ajouter à la collection d’histoire naturelle ; mais malgré toutes les précautions, on ne put en avoir un seul intact ; ils adhéraient trop fortement aux parois. Une des plus grandes cavernes attira l’attention, à cause des figures taillées dans la pierre à l’aide d’instruments en fer et avec des pointes de flèches. Des Indiens et des Mexicains pouvaient bien en avoir sculpté quelques-unes pour plaisanter ; mais la plupart provenaient du caractère superstitieux des Indiens Pueblos (voy. p. 355).

« Ce qui frappait d’abord les yeux, c’était l’image fantastique d’un grand animal, mi-parti dragon, mi-parti serpent à sonnettes, avec des pieds d’homme. Il occupait la moitié de la longueur de la caverne ; ce devait être une divinité des descendants des Aztèques ; et, en effet, deux Indiens nous l’expliquèrent de la manière suivante : Le pouvoir sur les mers, les lacs et les fleuves, et même sur la pluie, est confié à un grand serpent à sonnettes, aussi gros que plusieurs hommes réunis, et plus grand que tous les serpents du monde ; il se meut en demi cercle et est terrible pour les méchants ; c’est à lui que les Indiens s’adressent pour obtenir de la pluie. Deux figures d’hommes informes, à cheveux rouges, nous furent expliquées comme les portraits de Montézuma, dont les Indiens Pueblos, bien qu’ils se disent chrétiens, attendent toujours patiemment la résurrection. Parmi les peintures, on voyait aussi l’image du soleil, symbole de la plus haute puissance. Il y avait encore des représentations de divers animaux du pays, des Indiens et de leurs cabanes. »

En traversant la Rocky-del-Creek, les voyageurs franchissaient la frontière occidentale du Texas, dont ils avaient parcouru toute la largeur, depuis les Antelope-Hills, c’est-à-dire une étendue de 185 milles.

Tant que le Llano-Estacado indiqua la route, ou depuis la Rocky-dell-Creek jusqu’à la Fossil-Creek (étendue de 45 milles), le paysage fut le même ; seulement le chemin portait les traces du commerce important qui a lieu, par cette voie, en certaines saisons, entre les habitants du Nouveau-Mexique et les Indiens, et qui existe peut-être depuis des siècles. Le Cerro de Tucumcari vint faire diversion au tableau. « Cette montagne présente un aspect imposant. Elle s’élève comme une forteresse redoutable à 200 mètres au-dessus de la plaine. Sa circonférence, à sa base, peut être de 4 milles ; et comme les flancs en sont escarpés et presque perpendiculaires, sa circonférence, au sommet, n’est pas moindre. L’épaisse couche de grès blanc, dont la surface de la montagne est revêtue et qui apparait çà et là, est, en grande partie, percée d’entailles régulières, disposées perpendiculairement (c’est l’eau qui, en filtrant, les a creusées par la suite des temps), en sorte que la montagne ressemble à une forteresse imprenable, avec des murs et des remparts munis de longues rangées de meurtrières. Partout où il y a un peu de terre pour nourrir des racines, des cèdres sortent du sol infertile, mais rabougris et peu élevés. Tel est le Tucumcari. Certes, il ne soutiendrait pas la comparaison avec les rives pittoresques de l’Hudson ou les hauts sommets des monts Alleghany ; mais ici, dans la plaine nue, sa vue réjouit l’œil… »

Quand on passe le Tucumcari vers midi, on atteint le soir la rivière du même nom, Tucumcari-Creek, qui ne sort pas, ainsi qu’on le croirait, de cette montagne, mais de hauteurs situées plus à l’ouest. Il y avait alors (23 septembre) 650 milles parcourus depuis le fort Smith. On aperçoit encore le Tucumcari du haut du Pyramid-Rock, que les voyageurs gravirent. Cette montagne attire l’attention à cause des nuances diverses de son terrain et de ses roches, dont les teintes rouges, jaunes, bleues et blanches contrastent avec le vert sombre des cèdres, qui sont disséminés jusqu’au sommet, et là, dépassés par de grands blocs calcaires, siliceux, très-solides et de couleur blanche ; le banc sur lequel ils reposent est formé d’écailles d’huîtres fossiles appartenant à la formation jurassique.

On se trouva bientôt sur la ligne de partage (dividing-ridge), entre les eaux du Pecos et celles du Canadian, à 1850 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le Canadian avait jusqu’ici servi de fil conducteur aux ingénieurs de la troupe ; ceux-ci avaient maintenant à étudier, à mesurer, à lever topographiquement un terrain plus difficile. La différence de hauteur entre le fort Smith et le point que nous venons d’indiquer était de 1666m,66 ; mais l’élévation du terrain était répartie sur une étendue de 700 milles, et, de plus, si peu sensible (à part le Llano), qu’on n’y voyait aucune difficulté pour l’établissement d’un chemin de fer. Mais on n’était pas encore parvenu au lieu de destination, Albuquerque, sur le Rio-Grande ; et dans ce court espace (150 milles), il fallait monter jusqu’à la ligne de partage, entre le Pecos et le Rio-Grande (hauteur 2333m,34) ; c’est l’altitude moyenne, au-dessus du niveau de la mer, du haut plateau ou bassin, à l’est des montagnes Rocheuses ; puis on avait à redescendre jusqu’au Rio-Grande dont le niveau, à Isleta, ou bien à Albuquerque (points de transition), est de 666m,67 plus bas que la ligne de partage dont nous venons de parler, et par conséquent élevé de 1538 mètres au-dessus du niveau de la mer.

L’inégalité de terrain est surtout frappante dans la vallée de la rivière de Gallinas, qu’on atteignit le 25 septembre. La Gallinas prend sa source non loin de celle du Pecos, un peu à l’E. de la montagne de Santa-Fé. De loin, elle ne produit aucun effet, à cause de ses rives basses et nues, mais, en s’approchant, on voit que sa largeur est de 6m,67 a 16m,67 et que ses ondes sont très-rapides, mais on y regrette l’absence de végétation.

Tout à coup le son des clochettes se fit entendre, et des milliers de bêlements emplirent l’air. C’était un immense troupeau de 5000 à 6000 brebis ou moutons qui paissaient dans un bas-fond, conduits par un jeune Mexicain dont les cheveux noirs pendaient en désordre sur un visage bruni et dont les membres nus étaient couverts de callosités. Son vêtement de couleur sombre,