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avec certitude une balle dans le crâne ou dans le cœur, et quand on ne fait que les blesser, ces animaux sont dangereux pour le chasseur.

« Quant aux antilopes, vous en trouverez partout jusqu’à l’océan Pacifique, quelquefois isolées, plus souvent en troupes. Elles sont lestes et craintives, mais dévorées de curiosité, et si l’on sait mettre à profit ce défaut, la chasse à l’antilope est une des moins pénibles. Pendant des journées entières ces animaux infatigables marchent en zigzag sur les flancs de la caravane, ne s’approchant que rarement à la portée du fusil. Mais si vous trouvez un buisson, une touffe d’herbes ou quelques pierres offrant une cachette dans la plaine, plantez dans le sol, à une portée de fusil, un bâton dont l’extrémité laissera flotter un morceau d’étoffe, et attendez ; votre patience ne sera pas soumise à une trop longue épreuve. Les antilopes, dont la curiosité sera vivement excitée par cet objet inconnu, s’approcheront, tantôt sautant, tantôt à pas mesurés et fouillant le sol avec leurs pattes de devant. Le chasseur en abat une ; aussitôt la troupe s’enfuit avec la rapidité de l’éclair, mais le bruit n’a fait qu’enflammer leur curiosité. Le chasseur est à peine remis en position qu’elles sont là de nouveau ; une autre victime tombe, puis une troisième, quelquefois une quatrième, et c’est alors seulement que la troupe abandonne cette place de malheur.

« Cherchez aussi l’ours noir dans sa tanière au bord de la Canadian-River ; tâchez de le blesser pour qu’il se dresse devant vous prêt à la lutte, et alors vous aurez une chasse attrayante ; vous admirerez sa bravoure, vous rirez de ses postures grotesques ; mais allez avec précaution, n’approchez pas trop, car il vous vendrait trop chèrement sa peau et ses côtelettes succulentes. Si l’animal poursuivi rentre dans son trou, vite, faites une torche avec du bois, des herbes ou toute autre matière inflammable, et suivez-le hardiment. Offusqué par la lumière, le quadrupède se dresse ; il se cache les yeux avec ses grosses pattes. Approchez la torche, et vous verrez sur sa poitrine un endroit où les poils sont disposés circulairement ; c’est là qu’il faut viser, et la bête roulera comme une tente de Pawnees dont les soutiens sont rompus. On essaye aussi de le chasser dehors en l’enfumant, mais ce procédé ne réussit pas toujours. Souvent l’animal taquiné s’approche de l’ouverture, écarte le feu avec ses griffes et rentre aussi tranquillement qu’il était venu.

« Les Goldmountains du Nouveau-Mexique, que vous longerez, sont encore remplies d’ours gris[1]. Si vous attaquez cet animal, mettez-vous deux contre lui, ou même davantage. L’aspect seul de ces monstrueuses bêtes vous ôte un peu de vos moyens quand vous n’y êtes pas habitués. On n’a plus la sûreté du coup d’œil ; on manque son but, et un coup léger de ses puissantes griffes suffit pour vous enlever à jamais le goût de la chasse. L’ours en fureur perd totalement son air honnête ; ses oreilles disparaissent ; ses petits yeux lancent des flammes. On ne voit plus rien en lui que des éclairs, des dents et des griffes, et sa vitesse égale celle du cheval. »


Un incendie de prairie. — Une chasse aux buffles. — Indiens Wakos et Witchitas.


Le 22 août, la caravane quittait le fort Arbuckle. Le Castor Noir l’accompagna quelque temps. « Suivez toujours cette route, dit-il (celle où il avait lui-même conduit le capitaine Marcy bien des années auparavant), et vous atteindrez le Rio-Grande. » Il fallait être un Delaware pur sang pour voir une route là où l’œil des Américains ne distinguait rien de semblable ; et ce n’était qu’avec des mocassins de cuir mou qu’on pouvait sentir en marchant quelque inégalité du sol. Le chemin, surtout en approchant de la rivière Valnut Creek, se déroulait tantôt à travers des gorges profondes, sillonnées par des ruisseaux alors desséchés, sur le bord desquels croissaient des saules et des chênes rabougris, tantôt par-dessus des collines couvertes d’un fort gazon.

C’est dans ce gazon que les voyageurs virent tout à coup surgir des nuages de fumée chassés par le vent d’ouest au-dessus de leurs têtes. La prairie était en flammes, sans aucun doute ; on se mit en sûreté avec les bagages et les bêtes de somme au fond d’un ravin, dépouillé de toute espèce de végétation, et chacun contempla avec saisissement l’incendie promenant de tous côtés ses fureurs.

« Ces incendies sont quelquefois occasionnés par le hasard ou par la négligence des voyageurs et des chasseurs ; mais d’ordinaire c’est à dessein que les habitants des prairies mettent le feu à de grands espaces afin d’obtenir un gazon plus jeune et plus vigoureux. Au bout de quelques jours, on voit déjà poindre une herbe tendre dont la verdure cache les endroits noircis et calcinés par le feu, et quand ce gazon a poussé, les Indiens s’y rendent avec leurs troupeaux après avoir mis le feu dans d’autres directions.

« Par malheur, ces incendies prémédités tournent souvent au détriment des Indiens et détruisent le bétail et le gibier ; car, si l’homme peut à son gré enflammer cet océan de gazon, il est hors de la puissance humaine de diriger le feu, surtout quand un orage s’élève et chasse les flammes sur des espaces immenses.

« La nuit tombante nous fit assister à un spectacle sublime que ni la plume ni le pinceau ne peuvent rendre. Le ciel sombre paraissait encore plus noir à côté de l’éclat des flammes, qui coloraient d’une teinte rougeâtre les nuages de fumée s’élevant de toutes parts ; mais cette couleur changeait continuellement selon l’ardeur du vent ou l’abondance de la végétation. Un bruit effroyable accompagnait l’incendie : ce n’était ni le tonnerre, ni le sifflement du vent, c’était un bruit sourd, pareil à celui qui résonne quand des milliers de buffles ébranlent la terre en fuyant…

« L’Indien expérimenté regarde tranquillement la fumée qui tourbillonne et passe au-dessus de sa tête, présage d’un incendie imminent. De la place qu’il a choisie,

  1. Le grisly des chasseurs de l’Ouest ; ursus ferox americanus des naturalistes.