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pour contenir la balle, mais pas assez pour la laisser échapper, car la règle du jeu est de ne pas la toucher avec la main. Habitués dès leur première jeunesse à manier cet instrument, les Indiens déploient une habileté étonnante tant pour lancer la balle à une grande distance que pour la recevoir dans le cercle de la raquette. On ne se sert que d’une balle, et chacun tâche d’en devenir maître, afin de la lancer à travers la porte de son parti. Le parti qui a le premier exécuté cent fois ce tour obtient la victoire et reçoit tous les prix.

« Quand le soleil descend derrière les arbres, quand les ombres, s’allongeant de plus en plus, se fondent dans le crépuscule, on voit les joueurs, partagés en deux bandes, se diriger, à la lueur des torches, vers l’endroit où se dressent leurs poteaux respectifs ; ils crient, chantent, frappent leurs tambours, dansent et se pressent autour de la porte. Les femmes se rendent aussi en procession vers le point central, se rangent sur deux files, entre les poteaux et la ligne frontière, et là dansent, se balancent sur un pied, puis sur l’autre, sans bouger de place, et font entendre des chœurs sauvages. Pendant ce temps les anciens, assis sur la limite des deux camps, lancent leurs bouffées de tabac au grand Esprit. C’est ainsi que la nuit se passe sans qu’on ferme l’œil ; de demi-heure en demi-heure, les chants et les danses reprennent ; on fait une courte pause, après quoi le bruit recommence de plus belle.

« Le soleil levant trouve chacun à son poste ; souvent des milliers d’hommes attendent impatiemment qu’on donne le signal ; bientôt un coup de feu retentit, la balle est lancée en l’air par un des anciens qui se tient au centre ; aussitôt les combattants des deux partis se précipitent vers ce point comme des furieux. En un instant c’est un pêle-mêle général. On ne distingue plus aucun groupe isolé ; c’est un amas de membres qui se tordent et s’enchevêtrent. Le gazon n’est plus que poussière ; tout se heurte et se culbute ; enfin il y en a un qui tient la balle ; mais déjà elle lui est enlevée ; elle est lancée vers le but, qu’elle n’atteint pas, car un œil attentif, une main prompte l’a arrêtée dans sa course. La lutte pour conquérir la balle recommence avec un nouvel acharnement, mais la voilà qui a franchi la porte ; il y a une seconde d’arrêt, puis la balle est rejetée au centre et ainsi de suite jusqu’à ce qu’elle ait passé cent fois par une des portes. C’est alors que la décision des juges vient mettre fin à cet exercice violent, qui ne se termine d’ordinaire qu’un peu avant le coucher du soleil. »

Les Chikasaws ne forment plus aujourd’hui de tribu particulière ; ils vivent mêlés aux Choctaws ; on a de la peine à les distinguer les uns des autres. Leur territoire s’étend jusqu’à la Canadian-River ; entre cette rivière et l’Arkansas est le fertile domaine des Creeks ou Mus-kogees, parsemé de fermes florissantes. Il n’y a pas encore longtemps, les guerriers s’y couvraient de tatouages bizarres ; aujourd’hui, ces mêmes Indiens lisent un journal imprimé dans leur langue, tandis que la ménagère va et vient et commande à ses esclaves, qui sont mieux traités par elle qu’elle-même ne l’était autrefois, quand elle était l’esclave de son mari. De même que les Choctaws, les Creeks habitaient jadis l’Alabama et le Mississipi, qu’ils cédèrent, moyennant argent, au gouvernement américain. Ils ne sont plus qu’au nombre de 22 000.

Tel est aussi le chiffre de la population des Cherokeses ou Cherokees. Cette tribu n’a pas consenti aussi facilement que les autres à émigrer ; son chef, J. Ross, repoussa longtemps les offres avantageuses des États-Unis ; mais enfin, un beau jour, les Cherokeses abandonnèrent la Géorgie pour le haut Arkansas.

Plus loin sont les Shawnees ; en les voyant réduits au nombre de 1400, qui se douterait jamais que ce fut une des plus puissantes tribus de l’Amérique du nord ? Les premiers ils opposèrent de la résistance à l’envahissement de la civilisation à New-Jersey et en Pensylvanie ; ils défendirent pied à pied le terrain, dans les monts Alleghany, dans l’État d’Ohio, chassés de partout, semant la route des ossements de leurs guerriers. On les fait originaires de la Floride, où se trouve en effet une rivière de Su-wah-nee ; mais c’est une erreur. Ce qui est certain, c’est qu’ils étaient commandés par des chefs habiles, et que l’un d’eux, Tecumseh, avait conçu un hardi projet. Il voulait organiser, parmi tous les indigènes de l’Amérique, une ligue pour écraser l’ennemi commun. Son frère, le Prophète, parcourait, dans ce but, les wigwams, portant le feu sacré et les saints ossements, et montrant partout un mannequin fait d’étoffes légères, qui figurait un cadavre de grandeur naturelle. Les adeptes touchaient les os sacrés, et prenaient pour leur foyer, une parcelle du feu magique qu’ils juraient de ne pas laisser éteindre. Mais cette grande entreprise échoua par la mort de Tecumseh.

Les Quappaws, dont on aperçoit encore quelques wigwams sur les rives de la Canadian-River, n’étaient pas moins courageux ; mais où sont leurs guerriers ? Cette tribu, qui errait jadis de la rivière Canadienne au Mississipi, qui combattit bravement les Chikasaws, ne peut plus mettre sur pied que très-peu d’hommes. Le trait suivant les peindra mieux qu’une longue description. Un jour une troupe des leurs rencontra un parti de Chikasaws qui dut se retirer faute de poudre. Ce que voyant, le chef des Quappaws réunit autour de lui ses guerriers, fit étendre une couverture, leur enjoignit de vider leur corne à poudre, fit deux parts égales de cette masse, en garda une pour les siens, envoya l’autre aux Chikasaws, et le combat eut lieu avec le plus vif acharnement.



Le fort Arbuckle. — Si-Ki-to-Ma-Ker, le Castor Noir. — Les Delawares. Conseils d’un chasseur indien.


C’est parmi les Shawnees que nos voyageurs choisirent un guide, qui devait les conduire au fort Arbuckle, après avoir passé la Canadian-River. Ce point est la résidence de Si-Ki-to-Ma-Ker, le Castor Noir, de la fameuse tribu des Delawares, qui habitent dans le voisinage. Il est ici question du vieux fort nommé aussi camp Arbuckle, et aujourd’hui abandonné ; car le fort Neuf est situé à 30 milles plus au sud, et contient maintenant la garnison.