Page:Le Tour du monde - 01.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle d’un cimetière. Ce n’est qu’en approchant que les objets se dessinent et qu’on reconnaît des pirogues exhaussées sur quatre pieds. Au fond se trouve le défunt, le corps soigneusement enveloppé de nattes, son arc et ses flèches à portée de la main. En prévision de son long voyage, on l’a muni de toutes les choses nécessaires à la vie. Voici des couvertures, des bouilloires, des casseroles, des paniers, des coupes en terre, des cuillers, toute une batterie de cuisine qui ne peut manquer de lui être fort utile, et sans laquelle un guerrier qui se respecte ne saurait décemment paraître au séjour du Grand Esprit. C’est une question de comfort en même temps que de dignité. On en faisait à peu près autant chez les égyptiens.

Sépultures indiennes sur le bord de la rivière Cowlitz. — Dessin de Sabatier d’après Paul Kane.

En continuant vers le nord, on arrive au fort Nesqually. On débouche sur le Pacifique. Cet immense labyrinthe d’îles qui s’enchevêtrent devant nous, c’est l’archipel de San Juan, l’objet de négociations actuellement pendantes entre les États-Unis et la Grande-Bretagne. Il s’agit de savoir où finit la frontière américaine, où commence la frontière anglaise, et je conçois que, dans ce chaos, les diplomates des deux nations aient quelque peine à se retrouver. Heureusement l’industrie vient en aide à la nature. Pour cheminer sans encombre au milieu du labyrinthe, ils ont mieux qu’un fil d’Ariane : ils ont un fil de coton. Soyez sûr qu’ils arriveront et que la paix du monde n’en sera pas troublée. Nous qui ne voyageons pas à la manière de lord Minto, mais qui courons le monde à la suite de M. Palliser, qui n’avons affaire ni avec M. Buchanan, ni avec lord John Russel, ni avec M. Douglas, ni avec le général Harney, nous prendrons pour guide un des Indiens du fort, et, en quelques coups d’avirons, il nous conduira jusqu’à Victoria, la ville principale de l’île de Vancouver où nous nous arrêterons.

Il y a douze ou quinze ans, Victoria n’était qu’un fort, comme tous ceux que nous avons déjà rencontrés. Edmonton eût pu, sans trop de désavantage, supporter