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plusieurs jours de marche on arrive enfin sur les terrains de chasse. Les bisons sont bientôt signalés ; aussitôt on se forme en ligne, on avance avec précaution. « Doucement ! doucement ! » s’écrie le président, qui a peine à retenir l’impatience de son monde ; puis, quelques instants après : « En avant ! »

Et alors, ils sont vraiment beaux, ces rudes enfants de la prairie, partant au triple galop de leurs chevaux, les cheveux au vent, une poignée de balles dans la bouche, se précipitant pêle-mêle au milieu des masses sombres qui fuient devant eux, tirant, rechargeant, toujours au galop, en crachant une balle dans le canon de leur fusil ; alors, ils sont vraiment les rois de la plaine ; alors le vieux sang indien se réveille, et le colon redevient Peau-Rouge.

Indiens Saulteux pêchant aux flambeaux. — Dessin de Sabatier, d’après M. Paul Kane, p. 279 (voy. la note p.279).

Cette vie-là dure près de trois mois, toute la belle saison, accompagnée de plus ou moins d’aventures ; et tant qu’elle dure, on ne songe guère à ses champs de l’Assiniboine ; les maisons se dégradent, les terres restent en friche. Peu importe ! la campagne a été bonne ; les robes de bison se sont bien vendues ; le chasseur revient chez lui avec de beaux dollars dans sa ceinture. Et comme il y a toujours des buffles dans l’ouest, qu’on recommencera l’année suivante, avec aussi peu de peine et autant de plaisir, que le métis est de sa nature souverainement imprévoyant, il n’a rien de plus pressé que de tout dépenser, en vêtements ou en futilités. Nul doute que cette insouciance, cette imprévoyance de l’avenir, ce goût de la vie nomade généralement répandu parmi la population de sang mêlé, ne soit une des causes qui retardent les progrès de la colonie ; et si l’on ajoute, ainsi que je l’indiquais déjà tout à l’heure, que le cultivateur ne sait comment écouler ses produits, faute de routes et de débouchés, on comprendra que la population européenne, celle qui travaille et qui tient au sol, ait plutôt diminué qu’augmenté pendant ces dernières années.

C’est ce qu’expliquait à M. Hind le gentleman farmer dont je parlais plus haut.

« Voyez cette prairie, lui disait-il, c’est un paradis de fertilité ! Qu’on nous ouvre un marché, un seul, et vous ferez du chemin avant de trouver le pendant des plaines de l’Assiniboine ! »


IV

Pembina. — Un bureau de poste dans le désert. — Marche vers l’ouest. — Alphabet des Indiens Crees. — Un hiver au fort Carlton. — M. Bourgeau. — Le lieutenant Blakiston. — Un Anglais chez les Peaux-Rouges. — L’expédition continue vers l’ouest. — Les montagnes Rocheuses. — Retour vers l’est. — Arrivée au fort Edmonton[1].

Maintenant que nous connaissons la colonie, aussi bien que les colons eux-mêmes, il est temps de revenir

  1. Papers relative to the exploration by captain Palliser of that portion of Britishh Nord America which lies between the Red river settlement and Rocky mountain. June, 1859 (Blue book).