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Leurs sens semblent ne pas prendre connaissance de tout ce que l’instinct et l’association rendent révoltant pour la vue, le toucher et l’odorat des hommes civilisés.

Mon journal abonde sur tout cela en exacts et dégoûtants détails, dont je ne recopierai pas même le plus supportable.


Mœurs et coutumes des Esquimaux. — Deuil pour la mort. — Rites. Pénitences.

Je passai quelque temps à Étah à examiner le glacier et à faire des dessins de ce que je voyais autour de moi. Je rencontrai plusieurs vieux amis. Un d’eux ne faisait que se rétablir d’une cruelle attaque de gelée, suite d’une terrible aventure à travers les glaces flottantes. Je lui donnai un morceau de flanelle rouge et je le frictionnai. Il habite dans la seconde hutte, plus petite que celle de Metek, avec une jolie femme du nom de Kalutunah. Hans m’avait raconté sur ce jeune couple une histoire d’infanticide ; et, feignant l’ignorance à ce sujet, je leur demandai des nouvelles de leur enfant. Leurs manières me convainquirent que l’histoire était vraie ; ils tournèrent leurs mains vers la terre, mais sans aucun signe de confusion. Ils ne donnèrent même pas à cet affreux souvenir le tribut de pleurs que ces peuples sont toujours prêts à payer en toute occasion.

Une singulière coutume que j’ai remarquée souvent ici, ainsi que chez beaucoup d’Asiatiques, et qui a ses analogies dans les centres les plus civilisés, est celle qui préside aux formalités régulières du deuil pour la mort. Ils pleurent selon un système bien arrêté : quand l’un commence, tous se mettent à faire comme lui, et c’est un acte de courtoisie de la part du plus distingué de la compagnie d’essuyer les yeux du chef du deuil. Ils s’assemblent souvent de concert pour une réunion de deuil général ; mais il arrive souvent aussi que l’un d’eux éclate en pleurs et que les autres l’accompagnent courtoisement sans savoir d’abord de quoi il s’agit.

Ce n’est pas, cependant, la mort seule qu’ils déplorent en chœur, tout autre malheur peut les réunir aussi bien : la non réussite d’une chasse, la cassure d’une ligne à phoque ou la mort d’un chien. Mme Eider-Duck, née Petit-Ventre (Égurk), abandonna une fois le soin de son kotluk pour éclater devant moi en une aimable saillie de lamentations : je ne connaissais pas le remède immédiat de sa douleur, mais avec une remarquable présence d’esprit je tirai mon mouchoir, coupé par Morton dans le corps d’une chemise usée, et après avoir essuyé poliment ses yeux, je versai quelques pleurs moi-même. Cet aimable accès fut bientôt passé ; Mme Eider-Duck retourna à son kotluk, et Nalegak à son livre de notes.

Les cérémonies du deuil sont pourtant quelquefois, sinon toujours, accompagnées d’observances d’un plus sérieux caractère. Aussi loin que vont mes informations, les notions religieuses des Esquimaux s’étendent seulement jusqu’à la connaissance d’agents surnaturels et à certains usages par lesquels ils doivent se les concilier. L’angekok de la tribu, le prophète, comme il est appelé parmi nos Indiens de l’ouest, est le conseiller général. Il soigne les maladies ou panse les blessures, dirige la police et les mouvements du petit État, et, quoiqu’il ne soit pas le chef de nom, il en a réellement le pouvoir. Il entre dans les prérogatives et les devoirs de son office de fixer le taux des offrandes et les pénitences des fautes. Celles-ci sont quelquefois tout à fait tyranniques. Ainsi un mari contrit est requis de s’abstenir de la chasse au phoque pendant toute l’année, depuis okiakut jusqu’à okiakut, c’est-à-dire d’un hiver à l’autre. Plus généralement on lui refuse le luxe de quelque article de nourriture, comme un lapin ou un morceau favori de phoque ; ou bien il lui est défendu de se servir de son nessak ou capuchon, et il est forcé d’aller la tête nue.

Une sœur de Kalutanah mourut subitement à Péteravik. Son corps fut cousu dans des peaux, non dans une posture assise, comme les restes que nous trouvons dans les tombes du sud, mais avec les membres étendus dans toute leur longueur ; son mari la porta seul à son lieu de repos, et la couvrit, pierre par pierre, d’un cairn grossier, monument primitif. La lampe d’huile de baleine fut suspendue en dehors de la hutte pendant la durée de son solitaire voyage funéraire ; et quand il fut revenu les voisins vinrent tous ensemble pour pleurer et hurler, tandis que le veuf récitait ses douleurs et ses prières. Sa pénitence fut sévère, et mêlée de beaucoup de ces prescriptions que j’ai décrites plus haut.

Il est presque aussi difficile de découvrir les coutumes des Esquimaux du détroit de Smith que de décrire leur religion. C’est un peuple sur son déclin, presque vieilli, lolo orbe divisos, « séparés du reste du monde, » et trop écrasé par les nécessités de la vie présente pour aimer les souvenirs du passé. Il en est autrement de ceux dont nous avons trouvé les établissements plus au sud. Ils sont maintenant pour la plupart concentrés autour des postes danois, et diffèrent beaucoup, au physique comme au moral, de leurs frères du nord.

Le phoque fournit de la nourriture aux Esquimaux de la baie de Rensselaer pendant la plus grande partie de l’année. Au sud jusqu’à Murchison-Channel, le veau marin, l’unicorne ou narwal et la baleine blanche viennent dans les saisons qui leur sont propres ; mais dans le détroit de Smith les chasses de ces derniers animaux sont plutôt accidentelles qu’habituelles.

La manière de chasser les walrus dépend beaucoup de la saison. À la fin de l’année, quand la glace n’est formée qu’en partie, on les trouve en grand nombre autour de la région neutre de la glace mêlée à l’eau, et, quand cette région devient solide à mesure que l’hiver s’avance, on les poursuit de plus en plus au sud.

Les Esquimaux s’en approchent alors sur la glace nouvelle, et les attaquent dans les fentes et les trous avec le filet et la ligne. Cette pêche, quand la saison devient plus froide, plus sombre et plus tempétueuse, présente d’affreux dangers.

Au printemps, ou, pour être plus exact, vers le mois où reparaît le soleil, la famine d’hiver cesse généralement. Janvier et février sont souvent, et presque toujours, des mois de privations ; mais pendant la dernière