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cochers, et plus tard, lorsqu’on eut à redouter les sauvages dans les pampas, six gauchos durent être adjoints avec autant de chevaux, aux hommes conduisant les relais.

Le premier jour, on fit tout d’une traite quinze milles, et l’on ne s’arrêta qu’à Moron, mais il est vrai que la route était excellente. La confirmation fut administrée dans ce joli endroit à plusieurs fidèles. Ce fut là qu’on fut à même d’admirer ces champs de fenouil et surtout ces bois sans fin de pêchers, que ne peuvent assez contempler les voyageurs.

Indiens pillards (Correria de Puelches). — Dessin de Duveau d’après l’album de M. Claude Gay.

À Lujan, ou Santos Iugares, un misérable rancho où M. Muzi avait passé la nuit, fut tout à coup paré de tentures de damas par le curé du lieu. On y transporta un riche autel et six candélabres d’argent massif, et la première messe du vicaire apostolique fut ainsi célébrée au sein de la pampa. Immédiatement après, D. Giovanni Mastaï, l’abbé Sallusti et le P. Raymonde Arce se rendirent à l’humble église du village, où trois autres messes furent dites. On allait entrer dans les campagnes solitaires ; plus d’un péril allait être bravé.

Lujan et son digne curé furent quittés le même jour, mais la pampa encore voisine de Buenos-Ayres et ses innombrables mataderos ont été décrits par tant de relations, que nous ferons grâce à nos lecteurs de ce qui offensa si souvent l’odorat, sinon la vue, de nos voyageurs. Nous ne parlerons pas non plus ici ni du tiruteru ou pavon armé, si bien décrit par d’Azara, ni des innocents viscachas, ces petits rongeurs de l’espèce des chinchillides, dont les innombrables terriers mettent en péril les carrosses les mieux construits. Tout cela était neuf pour l’Europe en 1824, mais depuis, tout cela a été répété jusqu’à satiété. À Conchas, on comprit une des souffrances du désert : l’eau était pour ainsi dire corrompue ; on la tirait d’un puits dont la margelle se composait d’os blanchis et amoncelés.

Nous nous garderons bien de suivre la caravane de relais en relais, quand même elle eut à traverser le rio Arrecife en canot, laissant passer à gué les voitures. Ce qu’on a dit en somme de plus juste sur les pampas, c’est qu’un jour de voyage dans ces plaines monotones ressemblait on ne peut mieux à un autre jour. La seule variété qu’on puisse constater ne tient nullement aux aspects du paysage ou même aux jeux de l’atmosphère, qui sont partout à peu près les mêmes ; elle est de nature plus vulgaire : il y a les jours où l’on n’a rien à manger, pas même de charque[1], si l’on ne s’est fait suivre de ses provisions ; puis d’autres jours où l’on ne meurt pas de faim ; dans ces heureuses occasions, on s’est procuré à grand-peine du bœuf, du maïs et parfois du pain.

À San-Pedro, par extraordinaire, on eut un dîner

  1. Viande sèche ; sa dénomination vient du mot péruvien charqui, lanière.