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VOYAGE DE D. GIOVANNI MASTAI,

(AUJOURD’HUI S. S. LE PAPE PIE IX)
DANS L’AMÉRIQUE DU SUD[1],
(DE GÈNES à SANTIAGO).
(1823-1826)


En 1823, l’Amérique du Sud avait déjà conquis son indépendance politique, mais elle n’avait pu encore obtenir la paix religieuse, ébranlée par les commotions dont elle sortait à peine. Sous la fin du pontificat de Pie VII, l’un des hommes influents du Chili, l’archidiacre D. Jozé Ignacio Cienfuegos, avait été envoyé à Rome par le pouvoir nouvellement constitué pour demander au saint-père l’institution d’une mission apostolique qui devait résider à Santiago. Il s’agissait d’aplanir les difficultés qui s’étaient élevées en plus d’une circonstance, entre le clergé chilien et le pouvoir suprême ; plusieurs membres des ordres religieux avaient demandé leur sécularisation.

L’envoi d’un vicaire apostolique était devenu d’une urgente nécessité.

La cour de Rome obtempéra au désir formulé par la chambre représentative du Chili, et pour faire le choix du vicaire apostolique elle assembla une congrégation toute spéciale, composée de six cardinaux, que présidait le cardinal della Genga. Le choix de cette religieuse assemblée tomba d’abord sur Mgr  Ostini, ecclésiastique d’un mérite reconnu, et alors professeur de science sacrée au collége romain. Diverses circonstances firent décliner à ce savant théologien un honneur qu’il avait d’abord accepté, et, à sa place, la congrégation appela D. Giovanni Muzi, qui résidait alors auprès de la cour de Vienne, en qualité d’auditeur du nonce apostolique. Il quitta l’Allemagne immédiatement et se rendit à Rome, où Pie VII l’éleva à la dignité d’archevêque des Philippines lat. On adjoignit, à D. Giovanni Muzi, pour le seconder dans ses travaux, deux jeunes ecclésiastiques, D. Giovanni Maria Mastaï Ferretti des comtes Mastaï, simple chanoine alors[2], et l’abbé Giuseppe Sallusti, secrétaire de la légation, homme instruit auquel on doit le récit du voyage. Sur la demande réitérée d’un docte ecclésiastique des provinces Argentines, le docteur Pacheco, la congrégation que présidait le cardinal della Genga avait conféré les plus grandes facultés au nouveau vicaire apostolique ; non seulement il fut mis à même de pourvoir aux besoins spirituels du Chili et des provinces composant l’ancienne vice-royauté de Buenos-Ayres, mais il eut encore dans ses attributions le Pérou, la Colombie et les États du Mexique.


Départ de Gênes. — L’Eloysa et son équipage. — Navigation sur la Méditerranée. — Les côtes de la Catalogne.

La mission apostolique s’embarqua du port de Gênes, le 4 octobre 1823, sur un brick de construction française, nommée l’Eloysa. C’était un beau navire doublé en cuivre et d’une marche supérieure ; le capitaine, homme expérimenté, avait longtemps navigué dans les mers de l’Amérique du Sud et s’appelait Antonio Copello. On pouvait le regarder à la fois comme un marin instruit et comme un compagnon de voyage aimable : son second, ce que les Italiens appellent encore le pilote (il piloto), se nommait Campodonico : il avait l’expérience de la mer. On ne comptait pas moins de 34 hommes d’équipage, tous jeunes marins, mais gens de choix.

En même temps que Mgr  Muzi et D. Giovanni Mastaï s’étaient embarqués deux Chiliens qui ne devaient plus quitter la mission jusqu’à son arrivée sur les rives de la Plata. L’un était le docteur Cienfuegos, dont nous avons déjà parlé, l’autre, un jeune religieux d’un rare mérite, le P. Raymondo Arce, qui appartenait à l’ordre des Dominicains réformés de la ville de Santiago.

Les premiers jours se passèrent à merveille, les vents étaient favorables ; on s’accommoda parfaitement des dispositions prises par le capitaine Copello pour la commodité de ses passagers, mais les voyageurs ne pouvaient encore s’entretenir que des sujets les plus graves. Si, d’une part, ils étaient pleins d’espérances, de l’autre, ils se sentaient remplis de tristes préoccupations. Grâce aux conversations du P. I. de Molina sur le Chili, ils avaient pu se faire une juste idée, à Bologne, des magnifiques régions qu’ils allaient visiter, mais une nouvelle dont on ne pouvait prévoir encore la portée avait précédé leur départ de Gênes ; ils avaient appris que Pie VII, ayant fait une chute dans ses appartements le 19 août, ne laissait déjà plus d’espoir trois jours après ce cruel

  1. Le récit que nous donnons est extrait d’une relation de la Mission apostolique envoyée dans l’Amérique du Sud, en 1823, et dont faisait partie D. Giovanni Mastaï. Cette relation a été publiée sous le titre suivant : Storia delle Missioni apostoliche del Stato del Chile, colla descrizione del viaggio dal vecchio al nuovo mundo, fatto dal l’autore. Opera di Giuseppe Sallusti. Roma, 1827. 4 vol. in-8o avec carte.
  2. Né à Sinigaglia le 13 mai 1792, D. Giovanni Mastaï fut préconisé archevêque de Spolète en 1827, élu souverain pontife en 1846.