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L’hippopotame habite généralement dans les fleuves et les lacs de l’Afrique, depuis les confins de la colonie du Cap jusqu’au 22e ou 23e degré de latitude nord. On ne le trouve dans aucun fleuve tombant dans la Méditerranée, excepté dans le Nil, et seulement dans la partie de ce fleuve qui coule dans la haute Égypte ou dans les marais et les lacs de l’Éthiopie. Il s’éloigne devant la civilisation ; il habite dans les eaux fraîches et salées. Anciennement, il y a raison de le croire, il existait dans quelques parties de l’Asie ; mais l’espèce en est éteinte maintenant sur ce continent.

On dit qu’il y a deux espèces d’hippopotames en Afrique : l’hippopotamus amphibius et l’hippopotamus Liberiensis. Le dernier est décrit comme le plus petit des deux ; mais, à dire vrai, je ne l’ai jamais rencontré.

L’hippopotame est un animal très-singulier et qui n’a pas été improprement comparé à « une forme intermédiaire entre un porc gigantesque et un taureau sans cornes et à oreilles courtes ». Il a une tête immensément large. Ray dit que sa mâchoire supérieure est mobile, comme celle du crocodile. Chacune de ses mâchoires est armée de formidables défenses ; celles d’en bas, qui sont toujours très-grandes, atteignent, avec le temps, la longueur de deux pieds. L’intérieur de sa bouche a été décrit par un écrivain récent comme ressemblant à une « masse de viande de boucherie ». Ses yeux, que le capitaine Harris compare « à la lucarne d’une chaumière hollandaise », ses narines et ses oreilles sont placés sur un même plan, ce qui lui permet l’usage de trois sens et la respiration, dès qu’une très-petite partie de l’animal s’élève au-dessus de la surface de l’eau. Ses flancs ne sont pas de beaucoup inférieurs à ceux de l’éléphant, mais ses jambes sont tellement courtes et basses, que le ventre touche presque à terre ; ses sabots sont divisés en quatre parties, réunies par des membranes. Sa peau, qui a près d’un pouce d’épaisseur, est dépourvue de tout pelage, quelques crins seulement sont répandus sur le museau, sur le bord des oreilles, sur la queue. La couleur de l’animal, hors de l’eau, est d’un rouge brun ; mais quand on le voit au fond d’un étang, il paraît d’une autre couleur, c’est-à-dire bleu sombre, ou, comme l’a écrit le docteur Burchell, d’une légère couleur d’encre indienne.

Quand l’hippopotame est furieux, son aspect est aussi repoussant qu’effrayant, et je ne suis pas surpris que des chasseurs éprouvés aient perdu leur présence d’esprit en se trouvant en contact avec ce monstre, dont les affreuses mâchoires, quand elles sont entre-bâillées, logeraient commodément un homme.

Les Bayèyes chassent ces animaux, tantôt avec des canots seulement, tantôt avec des canots et un radeau de roseaux. Nous allons décrire cette dernière chasse telle que nous l’avons vu pratiquer par ces sauvages.

Arrivés au rendez-vous, tout étant parfaitement en ordre, les canots nécessaires à la chasse sont placés sur un radeau ; les hommes montent auprès et descendent la rivière en se laissant flotter sans bruit, au cours de l’eau.

On ne trouve pas des hippopotames partout, mais seulement dans certains endroits. Quand on approche des retraites favorites de ces animaux, les chasseurs se mettent attentivement aux aguets pour découvrir leur présence, qui se décèle, soit par leur souffle bruyant, soit par les jets d’eau de leurs naseaux, soit encore par l’agitation qu’ils produisent à la surface, bien avant de se montrer.

Une fois qu’on s’est assuré de la position des hippopotames, les chasseurs les plus intrépides et les plus habiles saisissent leurs harpons, tandis que les autres se disposent à lancer les canots en cas de réussite dans l’attaque. Tous ces apprêts se font aussi silencieusement que possible, on ne parle qu’à voix basse, tout le monde est sur le qui-vive. Le bruit de l’eau qui jaillit, le souffle bruyant des hippopotames se fait entendre de plus en plus distinctement ; on tourne un coude de la rivière, on voit flotter sur l’eau des masses informes, qui ressemblent plus à des roches à moitié noyées qu’à des êtres vivants ; elles disparaissent pour se montrer de nouveau. Le radeau s’avance silencieux avec son noir équipage, excité au plus suprême degré ; enfin les chasseurs sont au milieu du troupeau qui ne semble avoir aucune conscience du danger. Un des hippopotames s’approche à toucher le radeau ; c’est le moment critique ; le harponneur le plus proche se dresse de toute sa hauteur, et un instant après le fer du harpon disparaît dans le flanc de l’animal qui, se sentant blessé, plonge avec violence ; tous ses efforts pour échapper sont inutiles. La ligne ou le manche du harpon peuvent se briser ; mais le fer une fois entré dans la chair, n’en peut sortir à cause de l’épaisseur et de la résistance de la peau de l’animal.

Aussitôt qu’un hippopotame est blessé, on gagne le rivage avec un canot, portant la ligne que l’on enroule, s’il est possible, autour d’un fort tronc d’arbre. Cette précaution prise, il n’est pas difficile aux chasseurs réunis de haler leur gibier à terre, ou de le fatiguer tout au moins comme un pêcheur fatigue un saumon. Mais si le temps manque pour cette opération, ligne et bouée sont jetées à l’eau ; l’animal nage et plonge à sa fantaisie.

Les autres canots sont immédiatement lancés, on donne la chasse à l’hippopotame, qui est assailli d’une grèle de javelines, chaque fois qu’il se présente à la surface de l’eau pour respirer.

Il n’est pas rare de voir l’animal, exaspéré par la douleur, se précipiter sur les canots, qu’il chavire, soit d’un coup de tête, soit avec ses défenses : malheur alors au chasseur nageant à sa portée ! d’un seul coup de sa puissante mâchoire, il peut lui enlever un membre, ou même le couper en deux.

… Après avoir remonté le Téoghé dans la direction du nord pendant une cinquantaine de lieues (en tenant compte des plis et détours du fleuve), mes guides, mon escorte et l’appui de leur chef Léchotèlébé me firent tout à coup défaut. À ma grande mortification, il me fallut revenir en arrière, joué par des sauvages… Je pou-