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jambes. En même temps, les indigènes font retentir l’air de leurs cris : Ongeama ! ongeama ! et déchargent leurs fusils, dont pas un seul n’atteint le but.

Cependant le jour baissait ; les indigènes ne demandaient pas mieux que d’en rester là, et je ne savais plus à quoi m’en tenir au sujet du lion, quand tout à coup, après de longues recherches infructueuses, je vis enfin l’animal bondir à quelques pas de moi.

C’était un lion à crinière noire, un des plus grands que j’aie jamais vus. Ses mouvements étaient empreints d’une majesté calme. Je me blottis derrière un buisson et fis feu. Quand la balle lui pénétra dans le corps, il fit volte-face, et me chargea ; mais, après un premier bond, il se replia de nouveau sur lui-même comme pour s’élancer de nouveau, et resta ainsi quelques instants la tête entre ses pattes de devant, semblable à un chat prêt à bondir.

Je tirai mon couteau de chasse que je pris dans la main droite, et un genou en terre j’attendis l’ennemi. C’était un moment terrible et plein d’angoisse. Je ne voulais pas moi-même attaquer, et je m’abstins de faire feu, parce que le lion soulevait autour de lui des nuages de poussière qui le dérobaient à mes yeux. Soudain, tandis que j’étais ainsi dans l’anxiété, l’animal s’élança sur moi ; mais, soit qu’il n’eût pas bien mesuré son coup, soit que les hautes herbes où je m’étais promptement blotti me cachassent à ses regards, il vint tomber à quelques pas en arrière. Me tourner et décharger mon second coup fut l’affaire d’une seconde, et comme il me montrait le flanc, la balle frappa l’épaule et la brisa. Il essaya encore de se jeter sur moi ; puis, se ravisant, il entra dans le fourré, où je jugeai peu prudent de le suivre.

Le lendemain, je partis à la recherche de sa piste, et découvris l’endroit où il avait passé nuit. Le sable n’était qu’une mare de sang ; les broussailles tout à l’entour avaient été écrasées par le poids de son corps. Mais là, nous perdîmes, — chose étrange, — toute trace de l’animal. Une troupe de lions, qui étaient venus en cet endroit manger une girafe, avaient effacé l’empreinte de ses pas, et ce n’est que quelques jours après que nous retrouvâmes son cadavre, déjà tombé en putréfaction, assez loin de l’endroit où je l’avais abattu.

Dans une autre occasion, m’étant mis en chasse de bonne heure, j’aperçus à un coude de la rivière trois gnous (antilopes) tranquillement occupés à brouter. Profitant des replis du terrain et des moindres abris qui s’offraient, je les approchai avec toute la prudence d’un chasseur, quand soudain, se battant les flancs avec leur queue, frappant la terre de leurs pieds, ils levèrent la tête en reniflant bruyamment. Je ne pouvais m’expliquer leur émotion, car j’étais parfaitement masqué par les mouvements du sol. Je n’eus pas à réfléchir longtemps sur la cause de cette agitation ; un animal se mit à gronder près de moi, je me retournai dans la direction du bruit et, à mon grand étonnement, sur un tertre qui me dominait, je découvris une bande de lions ; comme moi, ils cherchaient à surprendre les gnous. Tout d’abord, j’ajustai le lion le plus proche, mais la réflexion me vint en aide ; j’avais trop de chances contre moi, je résolus donc de garder mon coup de fusil pour le cas où ils viendraient à m’attaquer. Heureusement, après m’avoir regardé pendant quelques secondes, ils disparurent en grondant, derrière une colline de sable.

Les gnous s’étaient aperçus de la présence des lions et détalaient de toute leur vitesse. Désirant les tirer, je suivis leurs traces ; mais, à mon grand ennui, je m’aperçus que mes terribles compagnons de chasse, la gueule ouverte et poussant de furieux mugissements, continuaient à suivre le même gibier que moi. Je dois avouer que cette persistance à m’imiter me flattait peu, la faim seule ayant pu les pousser à chercher leur proie en plein jour. Je n’en continuai pas moins à suivre la trace des antilopes, jusque dans le fourré, où je perdis, tout à la fois, mes dangereux compagnons et mon chemin.


II


La mare au crépuscule. — Approche des éléphants.

Mes rencontres fréquentes avec les éléphants et les rhinocéros n’avaient pas toutes un dénoûment aussi simple ; plus d’une fois je n’échappai que par miracle.

Un de mes dessins représente une de ces scènes de la vie de chasse qui laissent un profond souvenir, et dont j’ai souvent été témoin pendant la nuit, lorsque je me tenais embusqué au bord de l’eau. Je l’ai intitulé l’approche des éléphants, parce qu’il reproduit une particularité fort curieuse dont, jusqu’à présent, les récits des voyageurs africains n’ont pas fait mention.

Les éléphants apparaissent dans le lointain sur le sommet d’une colline ; autour de la mare vers laquelle ils dirigent leur course, se trouvent d’autres animaux. Ceux-ci se hâtent d’abandonner la place dès qu’ils sentent l’approche des éléphants, dont ils semblent avoir une peur instinctive, et ils se tiennent à distance respectueuse, jusqu’à ce que les gigantesques pachydermes aient étanché leur soif. Les choses se passent toujours ainsi, à moins que la mare ou l’étang ne présente une grande étendue. Il m’est donc arrivé plus d’une fois que, longtemps avant que je ne pusse les voir ou les entendre, j’étais averti de la présence des éléphants par les symptômes d’inquiétude et de malaise qui se manifestaient alors chez les autres animaux. Ainsi la girafe tend et incline son cou dans toutes les directions ; le zèbre fait entendre des cris plaintifs et suppliants ; le gnou se dérobe à pas furtifs ; le rhinocéros noir lui-même, malgré sa masse et ses dispositions querelleuses, bat en retraite ; mais s’il croit avoir le temps de la réflexion, il s’arrête pour écouter, se retourne et prête de nouveau l’oreille ; et s’il sent ses soupçons se confirmer, il ne manque jamais de prendre la fuite, en témoignant sa colère ou son effroi par l’espèce de ronflement qui lui est particulier. Une fois, il est vrai, je vis un rhinocéros se désaltérer en compagnie de sept éléphants mâles ; mais il faut dire que c’était un rhinocéros blanc, animal plus pa-