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L’île de Montserrat (Antilles anglaises). — Dessin de Bérard, d’après M. Reclus.


FRAGMENT D’UN VOYAGE À LA NOUVELLE-ORLÉANS,

(1855)
PAR M. ÉLISÉE RECLUS.
(Inédit.)


I

MER DES ANTILLES.


La mer était calme et phosphorescente ; à temps égaux le navire entrouvrait la vague en poussant un grondement sourd comme celui d’un énorme cétacé ; les voiles enflées par la brise imprimaient aux mâts de suaves balancements : tout dans la nature semblait jouir d’un mystérieux bonheur.

J’étais étendu dans la chaloupe au-dessus du gouvernail et je regardais les étoiles. Dans cette position, mon être n’existait que pour jouir toutes les ondulations du navire et des vagues faisaient passer un frisson d’aise à travers mon corps ; mon âme elle-même était comme supprimée ; il ne me restait plus que la faculté de savourer à larges poumons l’air frais de la nuit. Balancé comme en un hamac dans la chaloupe suspendue, tantôt élevé à vingt pieds au-dessus de l’eau, tantôt ramené jusqu’à sa surface, j’entendais tour à tour la vague frapper les bordages de la chaloupe ou disparaître sous le gouvernail du navire avec un bruit caverneux ; autour de moi la phosphorescence des méduses et des rotifères jetait une pâle et tremblotante lueur, et parfois la rencontre de deux ondes lumineuses faisait briller la mes yeux comme le reflet d’un éclair. Tout près, la mer semblait rouler du feu, tandis que dans le lointain elle répandait une vague lumière bleuâtre comme celle de l’alcool enflammé.

Je sentais toutes les beautés de la mer sans les voir, mon regard restait attaché sur les étoiles et pour cesser de les contempler, j’aurais dû me faire violence. Au milieu d’elles, les mâts inclinés et relevés tour à tour par le roulis paraissaient décrire avec leurs pointes des cercles énormes. Trompé par cette illusion qui nous fait voir le mouvement dans les corps en repos et la fixité dans les objets mobiles, je croyais vaguement que les étoiles étaient des myriades de lucioles voletant autour des mâts et dansant au milieu de la voilure ; parfois je voyais aussi comme une neige de lumière tourbillonnant dans l’espace et descendant en vastes spirales. J’étais ébloui de la vive splendeur qui transforme le ciel des tropiques en un ciel tout différent du nôtre. Les étoiles brillent d’un éclat au moins quadruple en apparence, et, loin de paraître fixées sur une voûte solide, semblent suspendues à diverses hauteurs dans l’air bleu noir de la nuit ; la voie lactée, si pâle dans nos régions du nord, se