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quement accoutré, qui marchande avec chaleur un hérisson et finit par l’acheter contre un gros sac de sapèques. Puis un officier anglais, à cheval, tenant son parapluie blanc d’une main, et ayant un cigare à la bouche, avec un chapeau et une tournure impossibles. Nous leurs donnons quelques dessins européens dont ils sont très-avides, et, le lendemain, nous trouvons ces dessins reproduits et ayant déjà pris une apparence grotesque.

Les deux commissaires impériaux arrivent à Tien-tsin. Le soir même, les deux nobles personnages, suivant l’usage chinois, envoient leurs grandes cartes de visite, en papier rouge, aux ambassadeurs, et le surlendemain, étant un jour heureux, est désigné pour leur première entrevue avec lord Elgin. On convint de se rencontrer dans une pagode située en dehors de la ville, à quatre ou cinq lis de la muraille. Bellecourt, Trévise et moi, nous y allons en curieux et nous traversons pour revenir, durant plus d’une heure, une foule compacte de Chinois, armés de nos seuls parasols, et avec une escorte de deux matelots. Nous ne remarquons aucune malveillance sur toutes ces figures, mais beaucoup d’ébahissement et de curiosité. Un grand nombre sont vêtus d’une longue robe blanche ou bleue ; d’autres sont habillés en nankin, cette étoffe dont on a tant abusé en France. Tout le long de la route nous voyons des petites boutiques en plein vent, où l’on vend des pommes, des abricots, et où l’on boit de petites tasses de thé à la glace. La glace se trouve en très-grande abondance à Tien-tsin ; on l’y conserve en larges blocs avec beaucoup de soin.


(On ouvre les conférences le 27 mai 1858. Après quinze jours de discussion, les traités de paix qui accordent des indemnités et les libertés religieuse et commerciale sont signés. L’empereur Hien-foung envoie, le 3 juillet, la ratification de ces traités. Les navires redescendent le Peï-ho).


Avant de quitter définitivement le golfe de Péchéli, M. le baron Gros a tenu à visiter la Grande-Muraille de la Chine, et à juger par lui-même de la véracité de l’opinion qui la fait commencer dans la mer, à l’entrée du golfe de Léo-toung. Le 11 juillet, à sept heures du matin, l’ambassadeur, suivi de ses secrétaires et attachés, s’est embarqué sur le Prégent, élégant aviso à vapeur récemment arrivé de France. Trente ou quarante lieues séparaient, croyait-on, la muraille du mouillage de l’Audacieuse. Mais, vers le soir, le temps n’étant pas bien clair et la terre ne faisant encore qu’apparaître à l’horizon, il a fallu mouiller au large. Le lendemain, au jour, on a appareillé de nouveau, et bientôt la Grande-Muraille est apparue : elle présentait l’aspect d’une suite d’édifices de même hauteur, crénelés et barrant la plaine depuis la mer jusqu’au pied de la chaîne de montagnes qui court parallèlement au rivage, mais à plus d’une lieue de distance. Une heure après, la Grande-Muraille avec ses créneaux, ses contre-forts, ses jetées arrivant dans la mer, et la pagode qui la termine vers le rivage, était parfaitement visible presque dans ses moindres détails, et nous avions devant nous le point de vue le plus pittoresque, le plus beau que l’on puisse rencontrer en Chine : le long de la mer, cette vaste plaine, couverte d’une végétation luxuriante et de pâturages, avec de nombreux villages au milieu des arbres ; et, au second plan, un horizon de hautes montagnes, les unes abruptes et escarpées, les autres boisées et verdoyantes jusqu’à leur sommet, produisaient une scène que les Alpes seules peuvent rappeler, mais à laquelle la Grande-Muraille, sortant de la mer pour se couvrir de pagodes et de bastions, et grimper à pic sur les arêtes les plus hautes de la montagne, donnait un caractère bien fait pour impressionner les imaginations même les plus lentes.

Au pied de la muraille, du côté de la Chine, se dessinaient les blanches tentes des deux camps tartares, laissant leurs chevaux paître en liberté les herbes d’alentour. Le paysage, doré par le soleil levant, était plein de charme, et faisait comprendre la vie pastorale des hordes mongoles ; il nous donnait une idée exacte de cette Terre des herbes si bien décrite par l’abbé Huc.

Vue du côté chinois, la Grande-Muraille ressemble à un immense ouvrage en terre, couronné de créneaux en brique, mais en fort mauvais état et manquant en plusieurs endroits. Du côté de la Mandchourie, au contraire, la Grande-Muraille est construite en briques posant sur un soubassement de pierre. Elle est flanquée de tours carrées dans toute sa longueur, à la distance d’environ deux traits de flèche, afin que l’ennemi puisse être partout atteint. Elle descend dans la mer par deux jetées parallèles, qui suivent une pente assez douce pour permettre d’y monter en sortant du canal. Les plus gros navires peuvent en approcher à moins de deux milles, et c’est là le véritable endroit où de nouveaux touristes devront débarquer.

Malheureusement nous ne le savions pas alors, et nous avions jeté l’ancre dans les eaux de la Chine. La plage en cet endroit-là est unie ; mais un violent ressac rendait le débarquement difficile et ne permettait point aux canots d’approcher, sous peine d’entrer dans le sable. Le rivage était couvert de Chinois venant des villages voisins. M. Marquès, interprète de la mission, et le comte d’Ozery, commandant du Prégent, étaient descendus les premiers à terre pour s’aboucher avec les autorités et voir si l’on ne s’opposerait point à notre débarquement. Un mandarin, monté sur un cheval blanc et suivi par deux cavaliers, était arrivé du camp pour savoir ce que demandaient ces hommes venus de ciels inconnus ; et, sur les assurances pacifiques de notre interprète, il avait déclaré que rien ne s’opposerait à ce que nous descendissions à terre.

Nous débarquâmes donc, et ce ne fut pas le côté le moins piquant de notre expédition. Les canots ne pouvaient approcher, sous peine d’être roulés par les vagues. Le baron Gros descendit à terre, porté sur les épaules de trois matelots entièrement nus. M. le vicomte de Contades, ainsi que les attachés de l’ambassade, plusieurs officiers de l’Audacieuse et du Prégent, le sui-