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dans de petites niches grillées pratiquées à l’extérieur des murs de la prison ; ils y sont accroupis comme des bêtes fauves.

Le pacha est déjà vieux, sa physionomie respire la cruauté ; son fils passe près de nous, les jambes nues comme les autres habitants ; il ne se distingue d’eux que par la finesse de son burnous.

À quelques pas de la place du tribunal où se trouve l’Alcazaba (palais), on jouit d’un beau panorama sur la ville, la baie qu’elle entoure, les côtes d’Espagne à l’horizon et le point noir qui indique au loin le rocher de Gibraltar. On risque à tout moment de heurter un Arabe enveloppé dans son burnous blanc sale, et difficile dans son immobilité à reconnaître pour une créature vivante.

Nous visitons ensuite un caravansérail, vaste cour entourée d’arcades dont chacune communique à un petit réduit, en même temps habitation et dépôt de marchandises. La cour est remplie de chameaux dans toutes les attitudes, les uns attendant leurs fardeaux, les autres chargés et prêts à partir. Ces animaux sont d’une extrême douceur ; ils s’agenouillent au moindre signe, souffrent que nous nous promenions au milieu d’eux sans témoigner la moindre impatience, sollicitant même quelquefois une caresse et paraissant la recevoir avec plaisir. Les Arabes sont étendus près de leurs bêtes, et Hamet me fait remarquer le riche pistolet de l’un d’eux ; celui-ci le saisit avec méfiance et, en murmurant, le cache sous les plis de son burnous.

Du caravansérail nous allons à l’hôtel maure : la cour y est entourée d’un double rang d’arcades, l’une au rez-de-chaussée, et l’autre à l’unique étage du bâtiment ; la cour et les arcades du bas sont encombrées de ballots ; les arcades du haut forment une galerie, et chaque arcade correspond par une petite porte à un cabinet étroit, logement des différents voyageurs. Par cette porte basse, peu large et nécessairement laissée ouverte, entrent l’air et la lumière et s’échappe la fumée.

Chaque voyageur s’occupe de son aménagement ; on loue le réduit, mais on ne fournit rien aux hôtes ; aussi l’animation est-elle extrême.

Ici on cuit des mets, qu’on apprête un peu plus loin, et que l’on mange dans le cabinet à côté ; là, sur une natte que viennent d’étendre deux esclaves, causent avec gravité deux personnages importants ; en face, des nègres font les derniers préparatifs du départ près de Maures qui ouvrent leurs ballots, afin de s’installer dans l’espace qui leur est échu en partage ; en un mot, partout l’occupation, le bruit, et tout cela en même temps voilé de la fumée qui sort par toutes ces portes et inondé des rayons de ce soleil d’Orient qui projette sur les murs les ombres fantastiques des personnages. C’est un poëme que cette cour, que cette réunion d’hommes si différents de nos mœurs, de notre civilisation, de nos usages !

Après le café, où l’on fume en jouant aux tarots, j’ai visité l’habitation d’un riche marchand juif : une petite cour carrée, de grandes chambres, de nombreux petits miroirs ornés de cuivre doré, une école juive près de la maison, où les enfants récitent leur leçon en chantant en chœur, et une impression générale de propreté et de fraîcheur, sont les souvenirs que j’en ai emportés.

À ma rentrée, seconde et fort importune visite du marchand de tantôt, qui me persécute de coussins, de pantoufles et d’eau de rose.

Vers sept heures et demie environ du soir, j’entends des sons discordants mêlés de coups de fusil. « Est-ce une émeute ? — Oh ! non, répond Hamet, c’est une fête, venez vite voir ; » et, saisissant sa lanterne, il me prend le bras et m’entraîne, à travers un dédale de rues obscures, du côté de la musique. Nous atteignons bientôt une troupe de vingt-cinq à trente hommes ; l’un d’eux joue du fifre et cinq jouent de tambours que d’autres accompagnent de la voix : c’est une musique vraiment sépulcrale ; les grands burnous des assistants, qui marchent trois à trois se donnant le bras, prêtent à l’ensemble un aspect fort lugubre. À la lueur tremblante des lanternes, nous voyons de grandes figures arabes se dresser le long du chemin et dans l’embrasure des portes. À mesure que nous approchons du but, tous les assistants, les musiciens exceptés, s’étreignent et, dansant en rond, se poussent mutuellement contre les murs, se pressent les uns les autres en luttant, à travers les nombreuses portes, sous les différentes arches étroites et basses qu’il nous faut traverser. Nous parvenons enfin à une petite cour de cinq mètres carrés environ : au milieu s’élève un magnifique figuier dont les branches étendues frôlent les murs qui l’entourent ; on y suspend trois des lanternes apportées. Après des salutations échangées avec le maître de la maison, venu quelques pas au-devant du cortége, la musique reprend de plus belle et douze danseurs, en rond, se tenant par la taille, exécutent pendant près d’une demi-heure, une danse nationale fort curieuse. La mesure change à plusieurs reprises, elle s’accélère, se ralentit et finit par une grande rapidité : les danseurs tantôt sautent alternativement sur chaque jambe, tantôt se penchent en avant par secousses toujours de plus en plus violentes. Au milieu du cercle se tiennent deux danseurs qui cèdent ensuite la place à deux autres, et de tous les amis, c’est encore l’hôte qui s’agite le plus. Cette danse a beaucoup de caractère ; malgré la singularité des mouvements, elle n’offre rien de disgracieux. La cour est remplie de monde ; j’y figure pour ma part comme seul étranger.

Les danseurs se reposent de leurs fatigues en mangeant du bœuf et du biscuit. Nous sommes chez un riche marchand marocain qui se marie demain, et se réjouit ce soir avec ses amis en prévision de cet heureux événement. Après le souper on étend des nattes sur le sol de la cour, qui se remplit de nouveau de monde ; les trois principales pièces du logis sont occupées par les plus distingués des invités ; dans l’une d’elles se tient le fiancé revêtu d’une robe rouge, d’un burnous et d’un turban blancs. Des esclaves, laissant soigneusement leurs babouches à la porte, et entrant pieds nus dans l’appartement, présentent les rafraîchissements, surtout du thé et du biscuit ; l’usage du lait est inconnu, mais le sucre abonde. Une nouvelle musique a commencé dans la cour, produite par deux joueurs de mandoline arabe que l’on racle avec