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tion continue de plusieurs années : la chauve-souris, comme le crapaud, porte bonheur en Chine.

Le seul endroit vraiment élégant, meublé, confortable, de ces immenses demeures, c’est l’appartement des femmes, situé dans la partie la plus reculée de l’édifice, et aussi la salle qui en est toujours voisine, où le magistrat se montre à ses familiers. Chez Muh, il y avait là un mobilier somptueux, un grand nombre de montres et d’horloges, sans compter les hallebardes, les lances, toutes ces armes de parade que les Chinois, vrais guerriers de paravent, aiment à placer et à reproduire partout, comme pour se faire accroire à eux-mêmes qu’ils sont un peuple conquérant.

De même qu’à Paris tout le mouvement se concentre vers la rive droite de la Seine, de même à Canton toute la population et toute l’activité commerciale se portent vers le faubourg de l’ouest. C’est ce faubourg qui pourra seul donner de l’embarras aux alliés ; c’est la le centre de la résistance morale. Aussi y fait-on, de temps à autre, circuler des colonnes. Le bruit des obusiers sur les dalles des rues produit un excellent effet. Le faubourg de l’Est est peu étendu et peu peuplé en comparaison. On y trouve le quartier de la petite vérole, les hospices, divers grands établissements de bienfaisance. Le quartier mandchou ou tartare, situé entre la rue du Nord et la muraille, coupé par la rue de l’Est et sous le feu de la porte de l’Ouest, est peu redoutable. Il en est de même de toute la vieille ville, totalement dominée par les batteries du quartier général et renfermant des temples, des yamouns, de grands espaces inhabités. La ville neuve contient une population plus agglomérée, mais elle est aussi sous le feu de nos canonnières. Il en est de même du faubourg le long de la rivière : ni sa porte de l’Éternelle joie, ni celle de l’Éternelle pureté ne pourraient le sauver au jour de la révolte. Évidemment il n’y a que le faubourg de l’Ouest, regorgeant de population et n’étant point resserré par des murailles, qui doive préoccuper les commandants en chef.

Portrait d’une Chinoise. — Dessin de Doré, d’après M. de Trévise.


Curieux document trouvé dans les archives de Yeh. — Le premier jour de l’an chinois. — L’ambassade française quitte Hong-Kong pour se rendre à Shang-Hai. — Navigation de la mer de Chine à contre-mousson. — Amoy, le canal Formose, les îles Saddle, le Yang-Tzé-Kiang ou fleuve Bleu. — Arrivée à Shang-Hai.


Les alliés, peu de jours après la prise de Canton, s’étaient emparés, par un hasard heureux, des archives de Yeh, cachées dans un yamoun voisin du sien. On a découvert, parmi ces pièces diplomatiques, un curieux mémoire adressé, en 1845, à l’empereur Tao-Kouang par Ky-Ing, vice-roi de Canton, le signataire des cinq traités. Il est intitulé : Mémoire supplémentaire, détaillant les particularités relatives à la réception des envoyés barbares de différentes nations ; il est revêtu de l’approbation autographe, en vermillon, donnée par l’empereur.

« Votre esclave Ky-Ing, humblement agenouillé, dépose ce mémoire supplémentaire aux pieds de Votre Majesté.

« … Il a l’honneur de faire remarquer à Votre Majesté que c’est dans la 27e lune de la 22e année (août 1842), que les barbares anglais ont été pacifiés. Les Américains et les Français sont venus successivement pendant l’été et pendant l’automne de cette année (1845) ; et, durant cette période de trois années, la situation vis-à-vis des barbares a bien changé de face ; à mesure que le caractère de cette situation a varié, il est devenu nécessaire de modifier notre conduite envers eux, ainsi que les moyens à employer pour les maintenir en paix et les tenir en respect.

« Bien qu’il puisse être utile sans doute d’agir envers eux en employant de bons procédés, il est beaucoup plus prudent de les mener par la ruse. Dans quelques occasions, il faut leur faire connaître les motifs qui dirigent notre conduite ; dans d’autres, au contraire, leur susceptibilité ne peut être adoucie que par des démonstrations de nature à faire évanouir leurs soupçons.

« Quelquefois il est bon de chercher à leur plaire et a exciter leur reconnaissance, en les traitant sur le pied d’une égalité parfaite ; et, dans quelques cas, avant d’arriver aux résultats qu’il est possible d’obtenir, il faut faire semblant de ne pas apercevoir leur fourberie, et il est utile de ne pas pousser trop loin la juste appréciation de leurs actes.

« Nés et élevés dans les limites de leurs contrées lointaines, il y a beaucoup de choses dans les mœurs et dans les coutumes du Céleste-Empire que les barbares ne peuvent pas comprendre parfaitement, et ils font de continuelles observations sur des choses dont il est difficile de leur expliquer la véritable portée. Ainsi, par exemple, c’est aux membres du Grand Conseil qu’il appartient de rendre des décrets. Eh bien, ils respectent ces décrets comme s’ils émanaient de la main même de l’empereur ; et si on leur donne à entendre que ces décrets ne sont pas l’œuvre de Votre Majesté, alors, au lieu de les respecter, ils n’y attachent plus la moindre importance.

« Le repas que les barbares font en commun s’appelle le ta-tsan, le dîner ; ils aiment, à ce moment là, à se réunir en grand nombre pour manger et boire ensemble.

« Lorsque votre esclave leur a fait l’honneur de les