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spontanément offert à me rendre ce service. Un peu plus loin, à Kurem, petite station composée seulement de deux huttes, les Goldiens accoururent à ma rencontre sur la glace et aidèrent mes chiens à gravir la berge de l’île qui, en cet endroit, était fort escarpée. Ils semblaient heureux de pouvoir nous être de quelque utilité. Nous n’avions plus affaire à des Mandchoux. Nous approchions cependant de leurs frontières où je trouvai, du reste, meilleur accueil que je ne m’y serais attendu.

Le village de Syza est la résidence d’un officier mandchou préposé à la garde de la frontière. Il me reçut avec politesse et me donna un excellent repas pendant lequel il fit briller les connaissances et les bonnes manières d’un Chinois bien élevé. Son personnel se compose d’un secrétaire, de deux Boskos ou caporaux et de cinq serviteurs. Cet estimable fonctionnaire se délasse de ses travaux administratifs en se livrant aux douceurs du commerce. Il échange avec les habitants de son district du tabac et des liqueurs chinoises contre de précieuses fourrures de castor. Pour tout ce qui est du ressort de sa magistrature il peut se montrer facile et indulgent, mais aussitôt qu’il s’agit de son commerce il devient impitoyable. Malheur au pauvre Goldien qui serait en retard pour la livraison de la commande, ou qui oserait seulement lui présenter une pelleterie douteuse ! Les Goldiens de Syza cultivent avec succès le chou chinois, la fève, la courge, l’oignon et l’ail. Dans leurs champs du moins ils sont à l’abri de la cupidité vexatoire des Mandchoux.

Traîneaux de chiens. — Dessin de Sabatier, d’après M. Pargachefski.

Continuant de côtoyer l’Amour, je passai par les villages goldiens de Metsur et de Ketsyr et j’atteignis Turmi à l’embouchure de l’Usuri. La chaîne de montagnes qui court le long de l’Usuri est couverte de forêts de chêne, de mélèze et de cèdre, peuplées de bêtes féroces et surtout de tigres. Ce terrible félin que l’on a regardé longtemps comme un hôte exclusif des chaudes régions du midi de l’Asie, exerce ses déprédations jusque dans les gorges des monts Altaïs et Stavanoïs, au-delà du 50° degré de latitude, ainsi que l’ont établi Humboldt, dans son Asie Centrale, et Atkinson, dans son beau volume intitulé Oriental and Western Siberia. La population des bords de l’Usuri est formée principalement de réfugiés chinois. Les terres qu’ils cultivent sont d’un excellent rapport, mais ils n’ont de bétail que ce qu’il leur en faut pour le labour. Les fréquentes attaques des tigres les empêchent d’élever des troupeaux.

29 décembre. — Au delà de Dyrki, je trouvai abandonnée, la station que les Cosaques-Russes ont établie en face du village de Sulvi. Ils l’avaient quittée à l’automne, mais ils y avaient laissé leurs chevaux qui n’auraient pu traverser les marais de la rive gauche. J’étais forcé de me séparer de mes chiens avec lesquels j’avais fait