Page:Le Tour du monde - 01.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tszi-jun-ninsy, écrite probablement par un lama peu instruit, car, d’après la construction grammaticale chinoise, elle devrait être écrite ainsi : Tun-nin-sy-tszy, c’est-à-dire : « Inscription sur le cloître de l’éternelle paix ». Le côté gauche portait d’abord en lettres thibétennes, la phrase sacramentelle sanscrite : Om Mani Padmi om ! dont le sens littéral : « Oh ! diamant nénufar ! » n’a jamais rien signifié en aucune langue ; puis au-dessous et en chinois : Dai-juan-schout-schohili-gunbu, soit : « Le grand Tuan étend les mains de sa force partout ». Sur une deuxième ligne parallèle, à gauche, on retrouvait encore : Om-Mani-Padmi-om, en chinois et en nigurien. Les inscriptions du côté droit étaient les mêmes. Le second monument situé à quatre pas du premier et sur la même ligne, est formé d’une colonne qui repose sur une base octogone. À cinq pas plus loin, il y en a une autre semblable, et enfin une beaucoup plus grande s’élève à 150 brasses plus loin, sur un cap à pic qui se projette dans la rivière. Les Russes connaissaient déjà ces monuments au dix-septième siècle. Il y avait alors, dans cet endroit, une chapelle avec une cloche, et la section de la Sibérie à Saint-Pétersbourg possède un manuscrit daté de 1678, dans lequel il est dit : « que les habitants de cet endroit assurent que, à une époque reculée, un tzar de la Chine vint par mer dans l’Amour, et, en souvenir de son voyage, fit élever en ce lieu ces monuments et une cloche ».

De la plate forme naturelle qui porte ces constructions on a une vue magnifique. Vers le sud, s’étend un sombre océan de bois, d’où surgissent, de loin en loin, de noirs blocs des rochers ; tandis que droit au nord, sur la rive opposée de l’Amour, se déploie une large vallée dans laquelle l’Aemgun[1] roule ses eaux, et, forme, à son débouché, un delta couvert d’un tapis épais d’arbres et d’arbrisseaux.

Après avoir suivi le grand coude que l’Amour forme dans cette partie de son cours ; après avoir exploré le vaste lac d’Orel, creusé dans un amphithéâtre de montagnes boisées, à l’angle le plus rentrant de ce coude, l’expédition que nous venons de suivre pendant plus de trois mille kilomètres, arriva à Nikolaïevsk, où elle s’embarqua pour Ayan, port de la mer d’Okhotsk ; de là elle regagna Irkoutsk par la route de terre.

La relation suivante, postérieure de deux années seulement à celle qu’on vient de lire, peut donner une idée de la rapidité des progrès accomplis par la Russie dans le bassin de l’Amour.


Vue d’Alexandrovsk, dans la baie de Castries.


II


VOYAGE D’HIVER LE LONG DE L’AMOUR, DE L’EMBOUCHURE DU FLEUVE AU CONFLUENT DE LA CHILKA ET DE L’ARGOUIN, EXÉCUTÉ EN 1856-57 PAR M. PARGACHEFSKI.


Indigènes du Bas-Amour et Mandchoux. — Tourmentes de neige. — Attelage précieux. — Respect des indigènes pour le tigre. Fonctionnaires chinois et mandchou. — Retour à Ust-Strelka.


Je partis de Nicolaïevsk le 19 octobre 1856, dans un traîneau tiré par des chiens. Ces animaux, d’une vigueur et d’une vélocité incroyables, volent plutôt qu’ils ne courent sur la neige, et peuvent faire jusqu’à 15 verstes, près de 16 kilomètres à l’heure. Aussi, une petite traite de 11 verstes pour une première étape n’était pas un tour de force. Mais comme je comptais sur le même attelage pour me conduire jusqu’à la station russe qui se trouve à l’embouchure de la Sungari, je jugeai prudent de lui accorder une longue nuit de repos et je fis halte à Kaki, village gilyak.

18 novembre. — Malgré l’ardeur de mes chiens, nous n’avançons que lentement ; nous avons essuyé une terrible tempête de neige. Près du village de Mago, j’ai rencontré sur ma route une bande de Gilyaks conduisant des traîneaux chargés de poisson. C’est une espèce de carpe qu’ils prennent sous la glace. À Tyr, les eaux de l’Amour se réunissent dans un même lit, et à cet endroit le fleuve n’a pas moins de trois verstes (3 180 mètres) de large.

19 novembre. — On ne peut être plus récent que Novo-Michaïlovsk. C’est un embryon de village. La co-

  1. Cet affluent de la rive gauche de l’Amour porte aussi les noms de Omogun et de Kingan.