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ner à revenir. Plus tard, il y eut encore d’autres désertions et d’autres vols.

Adolphe Schlagintweit, au lieu de poursuivre son voyage vers le nord ou le nord-est, paraît avoir été obligé de redescendre pendant plusieurs journées au sud-est.

Du 1er au 5 août, il séjourna à Shaidoulla-Khoja d’où l’on peut se rendre en cinq jours à la ville de Yarkand, et en vingt jours à Osh, non loin de Kokand, par Tashkorgan.

Mohammed-Amin conseille au voyageur de choisir cette seconde route, malgré sa longueur, parce que, d’après les rumeurs du pays, il y avait des troupes armées qui se combattaient du côté de Yarkand et de Kashgar.

Adolphe Schlagintweit prit le parti d’envoyer Mourad le juif à Yarkand pour s’y assurer par lui-même de la vérité de ces bruits.

Mourad revint huit jours après, en compagnie de plusieurs caravanes. Il apportait de mauvaises nouvelles. On guerroyait en effet à Yarkand et à Kashgar.

Ces deux villes et leurs territoires, à l’est et au nord, font partie de l’empire chinois. Leur conquête date d’environ un siècle. Les descendants des anciens maîtres de ces provinces ne se sont pas encore résignés à leur défaite. On appelle ces petits chefs turks les bara-sahibs (grands hommes ou seigneurs) du Kokand. Ils enrôlent de temps à autre des bandes d’aventuriers, excitent le fanatisme religieux des uns, la cupidité des autres, et les mènent à l’assaut de Kashgar et de Yarkand. S’ils sont vainqueurs, ils dépossèdent les gouverneurs chinois, les chassent et occupent leurs résidences jusqu’au jour où des forces armées supérieures, venues du centre de la Chine, les renvoient sur les terres du Kokand.

Or, dans l’été de 1857, Kashgar était au pouvoir d’un chef nommé Woulhi ou Veli, qui venait de réussir à s’emparer du trône de Kokand à la suite d’une guerre religieuse : car si ces chefs ont en haine les Chinois, ils ne se détestent pas moins les uns les autres par suite de leurs divisions en sectes irréconciliables.

Veli-Khan n’était maître que de Kashgar. Une troupe chinoise, campée près de la ville, assiégeait un petit fort voisin. La garnison musulmane faisait de fréquentes sorties. Tout le pays était en armes.

Ces renseignements ne découragèrent pas Adolphe Schlagintweit. Il résolut malheureusement de s’avancer vers Yarkand et Kashgar. Peut-être même la guerre lui semblait-elle une occasion favorable pour pénétrer sur cette partie du territoire chinois où un étranger a presque toujours en perspective d’être sûrement reconnu, arrêté et décapité en temps de paix, à cause de la rareté des voyageurs dans ces pays peu habités. Peut-être aussi se confiait-il dans les promesses d’hospitalité et de protection que lui avait faites à Lahore un individu nommé Shâzadah, qui habitait ordinairement à Andishan, grande ville située à l’est de Kokand.

Toutefois, dans la prévoyance des périls qu’il allait affronter, le voyageur chargea Ghost-Mohammed de porter à Kangrah, dans le Lahore, ses manuscrits, ses dessins et ses collections. Il recommanda cet homme au chef d’une caravane qui se dirigeait vers Lahore, et lui donna un beau cheval, deux cents roupies et un billet à ordre de trois cents roupies sur un riche négociant de Kangrah.

Ensuite il se mit en route résolûment avec le reste de son escorte, et, peu de temps après, il arriva devant Yarkand. Selon l’un des récits, il fut bien accueilli par les habitants ; ils lui procurèrent des provisions, et, en retour, il leur fit des présents selon leur rang ou leurs services. Une autre correspondance semble indiquer que l’on se battait autour de la ville et qu’il dut s’en éloigner immédiatement.

De là il se dirigea, avec sa suite, vers Kashgar. On était à la fin d’août (1857). Au moment où il arriva devant cette ville, la garnison des musulmans faisait une sortie contre les Chinois.

Que se passa-t-il alors ?

Mohammed-Amin, dont le caractère peut être diversement apprécié d’après les rapports venus de l’Inde, raconte ainsi les faits :

« Les musulmans nous demandèrent qui nous étions. M. Schlagintweit répondit qu’il était envoyé vers le roi de Kokand par l’honorable Compagnie des Indes orientales. Sur ce, ils entrèrent en fureur et ordonnèrent de décapiter M. Schlagintweit et de nous jeter en prison, moi et ceux qui me suivaient, après nous avoir dépouillés de tout ce que nous possédions. Pendant les trente-cinq jours que dura notre captivité, deux de mes domestiques moururent. Mais l’armée des Chinois ayant obtenu des renforts de la Grande-Chine (Maha-Chin), le koja, battu, fut forcé de fuir. J’obtins alors la liberté, je confiai les restes de M. Schlagintweit à Mourad, et je me rendis, en avant, à Kokand. »

Le Cachemirien Abdoullah a donné quelques détails différents. Selon lui, le voyageur, en arrivant à Kashgar aurait demandé une audience à Veli-Khan. Celui-ci, pour toute réponse, l’aurait fait arrêter et conduire en sa présence avec son escorte. Puis, sans vouloir entendre aucune explication, sur-le-champ il lui aurait fait trancher la tête hors de la ville. Un homme charitable de Yarkand, nommé Atta-Bae, aurait recueilli les restes du voyageur, privés de sépulture, et plus tard les aurait remis à Mohammed-Amin.

On cite aussi une autre version d’après laquelle le voyageur aurait péri pour avoir voulu prendre la défense de quelques bhol-radjpouts, sujets anglais de l’Himalaya oriental, que l’on voulait mettre à mort ou vendre comme esclaves.

Adolphe Schlagintweit fut-il soupçonné de n’être qu’un espion, ou était-ce assez de son titre d’Européen ou Franghi pour exciter la fureur de ces fanatiques ? Son titre d’envoyé de la Compagnie des Indes, au lieu de le recommander, fut-il la cause même de sa perte ? On l’ignore. Ces contrées de la haute Asie sont autant en dehors de la civilisation que les îles les plus sauvages de l’Océanie, et il est même moins aisé d’aller y donner des leçons d’humanité et de justice. L’Angleterre sera très-probablement sans pouvoir pour atteindre jamais l’auteur de ce crime odieux.

« Si quelque réflexion peut adoucir la douleur des