LE FLEUVE AMOUR.
I
Le fleuve Amour ou Saghalien est formé par la réunion
de deux puissants cours d’eau, l’Onon et l’Argoun,
qui prennent naissance, non loin l’un de l’autre, sur les
flancs opposés d’une même chaîne de montagnes, en
pleine Mongolie, entre le 48° et le 49° degré de latitude,
et sous le 107° méridien à l’est de Paris. Le premier,
grossi des eaux de l’Ingoda, de la Chilka, dont il prend
le nom, et d’autres tributaires que lui envoient les monts
Stavanoïs, qui séparent son bassin de celui du lac Baïkal,
est déjà navigable pour de grandes embarcations devant
la ville de Nertschinsk, célèbre par ses mines et ses usines
métallurgiques. Le second, qui n’a pas moins de quatre
cents lieues de longueur quand il se réunit à l’Onon devant
Ust-Strelka, parcourt les plus riches pâturages de
la Mongolie. Des traditions vénérées, nourries de génération
en génération parmi les nomades de l’Asie centrale, font de l’Argoun la rivière sainte des Mongols.
C’est dans les forêts qui ombragent ses sources, dans les
rochers qui les entourent, que Tchenkis-Khan naquit,
grandit et reçut des dieux la mission de guider ses compatriotes
au pillage du monde. Jamais un chef khalkas
amené dans le voisinage de ces lieux vénérés par un caprice
ou un besoin de son existence errante, ne s’en éloigne
sans murmurer quelque incantation rythmique, que
nous, Français, nous traduirions exactement par ces vers
depuis longtemps célèbres :
…J’ai d’un géant vu le fantôme immense
Sur nos bivouacs fixer son œil ardent ;
Il s’écriait : mon règne recommence…
On assure que ces nomades, voyant se démanteler autour d’eux l’empire chinois et grandir d’autant la puis-