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des formes robustes et ligneuses, les lianes serpentent et s’entrelacent jusqu’au sommet des rameaux, et retombent en unissant leur verdure à celle des grands arbres qui les supportent. La fécondité d’une terre sans cesse humectée par d’abondantes vapeurs et par des pluies de six mois, vivifiée par des chaleurs d’autant plus fortes que le soleil ne s’en éloigne jamais, est prodigieuse ; aussi le voyageur éprouve-t-il un étonnement qui n’a rien d’analogue avec celui qu’imprime dans l’âme la vue des magnifiques monuments des hommes, et ne peut se lasser d’admirer ces forêts vierges, mélangées des teintes vertes les plus diverses, sur lesquelles tranchent les fleurs les plus larges et les plus bizarres, les fruits les plus singuliers, et ce mélange d’arbres ou de palmiers soutenant des parures étrangères, au point que leur feuillage disparaît sous les festons qui les voilent de la manière la plus agreste et la plus splendide. À des mimeuses gigantesques se joignent des aroïdes à larges feuilles, des orchidées, et surtout des épidendres parasites. Des arecs à choux, des bambous, des fougères en arbres, des lataniers, des tecks, des muscadiers, des spondias, sont les espèces les plus communes dans ces forêts. »

Sous ces voûtes magnifiques, l’astucieux Papoua ne se contente pas de guetter en silence le calao à plumage noir et à queue blanche, dont le vol bruyant imite à s’y méprendre le souffle précurseur de l’ouragan, le cacatoès à huppe jaune, le lori à la voix babillarde et au plumage vermeil, le cassican, qui rivalise par son éclat avec les plus beaux oiseaux ; il les attire et sait merveilleusement imiter leur cri. Arrivé sous un teck, il est à peu près sûr d’y faire venir le brillant manucode qu’il nomme saya. Mais ce magnifique oiseau n’est pas le seul hôte qui fasse son séjour sur le bel arbre ; son congénère, que recherchent surtout les dames européennes, se nourrit des mêmes fruits que lui. « Les oiseaux de paradis petits émeraudes volent avec grâce et par ondulations ; les plumes des flancs retombent négligemment pour former un panache gracieux et aérien qui brille dans l’air comme une étoile filante. »

Attaque d’un steamer par les sauvages du Grand-Andaman (1857). — D’après un dessin de M. O Mallitte.

Pas plus que les chasseurs des autres régions du globe, le Papoua ne se laisse séduire par la contemplation de cet oiseau charmant : la flèche part, le Mambé fore[1] tombe sur un lit de verdure, le sauvage s’en empare, le place d’abord dans le creux d’un bambou et plus tard sèche sa peau avec soin pour en faire un objet d’échange : c’est cependant privée d’une partie de son éclat qu’on la reçoit ici, et d’ailleurs les plus belles de ces dépouilles sont encore destinées aux radjahs malais et aux princes musulmans de l’Inde, qui de tout temps en ont orné la coiffure qu’ils portent dans les grandes solennités. Le paradisæa apoda, avec ses reflets verts, le manucode, le magnifique, le paradisier rouge, sont dans cette famille les oiseaux précieux que rencontrent plus fréquemment les Papouas et les Alfourous-Endamènes, leurs sauvages voisins, avec lesquels ils sont perpétuellement en guerre. Nous venons de prononcer le nom d’une race misérable, qui, plus que les Papouas encore, a de l’analogie avec nos Andamans, dont ils sont séparés par un espace assez considérable. Mais cette analogie de nom n’est pas le produit d’un pur hasard, et lorsqu’il parle des noirs Océaniens dont on compte une si grande variété, Lesson a soin d’indiquer les chroniques de Malacca comme étant la source primitive où l’on peut étudier leur histoire.

Ferdinand Denis.
  1. C’est le nom papoua du paradisæa apoda.