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Nuit de samedi. — Quarante-cinquième campement. Température : −19°,6. Altitude : 2 325 mètres environ. Cet après-midi, vicissitudes diverses. Au départ, route dans l’Ouest en gravissant une rampe — la cinquième que nous gravissons depuis deux jours. Au sommet, une autre vague apparaît à l’Est, mais moins élevée et mieux garnie de neige que celle qui nous a donné tant de mal ce matin. Il est tentant d’en essayer, et graduellement j’incline dans sa direction. Puis, revenant à mon principe, nous tournons dans l’Ouest, vers une autre pente. Au sommet de cette déclivité, une surface absolument extraordinaire : de tous côtés d’étroites crevasses, masquées par une mince croûte de névé. Tous, les uns après les autres, nous tombons dans ces chausse-trapes, quelquefois deux en même temps.

Dans les crevasses les plus larges traversées ce matin, c’était la partie inférieure du « pont » qui était branlante, tandis que dans toutes les autres précédemment rencontrées la partie supérieure était au contraire rompue. Cet après-midi, près de cette zone de fissures étroites, nous avons cheminé près de dix minutes sur une neige verglassée, recouvrant des amas de cristaux de glace. On avait, à chaque pas, l’impression de marcher sur des carreaux de verre. À 5 heures du soir, changement soudain. À cette neige verglassée succèdent des sastrugi réguliers ; en même temps, dans toutes les directions, l’horizon s’aplanit. Nous avons continué dans le Sud-Ouest jusqu’à 6 heures du soir, puis avons campé. La pensée d’avoir enfin atteint le plateau nous donne une agréable impression de sécurité. Ce soir, je suis pleinement satisfait.

Aujourd’hui, en huit heures et demie environ, nous avons couvert 28 kilomètres et nous sommes élevés de près de 240 mètres. Ma résolution de gagner avant tout en altitude, sans nous occuper de la direction suivie, se trouve pleinement justifiée ; grande serait ma surprise si nous rencontrions de nouvelles régions crevassées ou de pentes escarpées. Pour la première fois depuis le départ, le but me semble réellement à portée. Nous pouvons haler nos charges, et même les haler beaucoup plus vite que jamais je n’aurais osé l’espérer. Je demande seulement une honnête dose de beau temps. Comme je l’avais prévu, le vent est froid à cette altitude ; mais avec de bons vêtements, et bien nourris comme nous le sommes, nous pouvons le supporter, et même un temps plus froid.

Dimanche, 24 décembre. — Nous nous sommes élevés, je crois, plus que ne l’indique le baromètre. Et cela en cinq heures, sur une surface qui doit être un échantillon du plateau polaire. Toujours une brise de Sud-Sud-Est, très piquante. Revêtu les complets Burberry pour nous garantir du vent et une coiffure plus chaude. Gain de la journée en hauteur : environ 75 ou 100 mètres. Hypsomètre : 2 400 mètres.

Après la grande halte, les deux premières heures se sont très bien passées. Ensuite, le traînage est devenu un peu plus difficile. Somme toute, 26 kilomètres dans la journée. Après avoir perdu de vue le gros monticule crevassé, ce soir, un second, plus petit, se découvre par « babord avant » ; en même temps la piste devient alternativement ferme, puis molle. De tous côtés des creux et des renflements ; des zones disloquées doivent se trouver dans le voisinage. Pourvu qu’elles ne nous obligent pas à nous diriger davantage dans l’Ouest ! 26 kilomètres en quatre heures ; ce n’est pas si mal, eu égard aux circonstances.

Vent de Sud constant ; si au campement, il n’est pas précisément agréable, par contre, pendant la marche, il offre l’avantage d’empêcher la transpiration (température : −19°,4). Le grand inconvénient de cette brise, c’est qu’elle augmente l’étendue de la pellicule de glace qui se forme sur la figure. De la journée, pas rencontré une seule crevasse ; c’est bon signe. Le soleil continue à briller dans un ciel sans nuages ; le vent se lève pour tomber ensuite. Autour de nous, un paysage d’une morne désolation ; mais la joie est en nous. C’est demain Noël, avec les extras de circonstance.

Lundi, 25 décembre. Noël. — Gain en altitude : 72 mètres. Cette nuit et ce matin, vent très violent ; pendant la nuit, légère chute de neige et chasse-neige ; à l’heure du départ, il diminue ; la hauteur des tourbillons au-dessus de la surface du glacier ne dépasse pas 0 m. 30. Peut-être cette neige rendra-t-elle la piste plus difficile. Cette crainte n’est pas justifiée ; pendant la première heure et demie, nous avançons à

HALTE D’UN TRAÎNEAU.