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Lundi, 28 août. — Hier, au cours d’une promenade, Ponting et Gran ont trouvé sur la banquise un chien disparu depuis un mois. Du sang était collé à ses poils, et il sentait fortement la graisse de phoque. Si la bête avait pour le moment l’estomac plein, sa maigreur annonçait qu’auparavant elle avait passé par de durs moments. Qu’est-elle devenue depuis quatre semaines et comment expliquer cette longue absence ? Elle n’a certes pas été volontaire ; autrement, la satisfaction que le chien manifeste de nous retrouver ne s’expliquerait guère. D’autre part, il n’a pu errer pendant aussi longtemps dans le voisinage de la station sans pouvoir retrouver son chemin, car d’après Meares, par temps calme, les aboiements de la meute s’entendent à plus de 11 ou 12 kilomètres ; en outre, les environs du cap Evans sont sillonnés de pistes qu’un chien ne saurait manquer. Je crois donc que l’animal a eu la retraite coupée et qu’ensuite il a dû être emporté par un glaçon flottant. Or, la mer libre est éloignée de la station de 17 à 18 kilomètres. Nouvelle énigme.

Vendredi, 1er septembre. — Si le mois qui commence n’est pas plus mauvais que le précédent, nous n’aurons pas lieu de nous plaindre.

Les excursions de printemps projetées n’embrasseront pas un grand rayon. Le lieutenant Evans, Gran et Ford retourneront au Corner Camp, puis Meares, avec les chiens, transportera sur la Barrière la plus grande quantité possible de fourrage, pendant que Simpson, Bowers et moi, irons nous dégourdir les jambes dans les montagnes de la Terre Victoria. Les autres resteront à la maison pour promener les poneys. Ce ne sera pas facile de maintenir l’ordre parmi toutes ces bêtes devenues très turbulentes depuis que leur ration a été augmentée.

Dimanche, 10 septembre. — La rédaction du programme détaillé de l’expédition au Pôle m’a empêché, depuis une semaine, d’écrire mon journal.

Si les autos fonctionnent, nous atteindrons le glacier Beardmore sans aucune difficulté ; s’ils sont arrêtés par quelque panne nous arriverons néanmoins au but pour peu que la chance ne nous soit pas absolument contraire. Trois escouades de quatre hommes escaladeront le glacier. Dans une pareille entreprise, que de choses il est nécessaire de prévoir, mais, tout ayant été réglé à l’avance, nous aurons de grandes chances de succès ! J’ai envisagé, je crois, les diverses éventualités contraires qui peuvent se présenter et les moyens de les combattre. Je crains cependant d’être trop confiant ; tout bien considéré, il me semble pourtant que nous devons réussir, d’autant que les animaux sont en parfait état. Les poneys, bien plus vigoureux qu’ils ne l’étaient l’an dernier, pourront, après un mois d’entraînement, tirer facilement leurs charges.

J’augure d’autant mieux de l’avenir que tous mes collaborateurs se montrent pleins d’entrain. Les douze compagnons que j’ai choisis sont tous vigoureux et bien entraînés et tous unis par une vraie et sincère amitié. Enfin notre équipement me paraît parfait. Je ne compte guère sur les autos. Je souhaite seulement que cet essai ne se termine pas par un insuccès complet, ne fût-ce que pour nous récompenser du temps et de l’argent que ces machines nous ont coûtés, comme des soucis qu’elles nous ont donnés. J’ai toujours cru à la possibilité de l’emploi de la traction automobile sur la Grande Barrière, mais cette traction n’est pas encore arrivée au degré de perfection qu’elle est susceptible d’atteindre. Loin de partager mes craintes, Day est convaincu que les tracteurs fonctionneront. Son camarade Lashley, quoique plus réservé, est également plein d’espoir.

LE CAPITAINE OATES DANS LES ÉCURIES PENDANT L’HIVERNAGE.

Jeudi, 14 septembre. — Exposé hier devant mes camarades le programme de la marche vers le Pôle. Il a reçu de leur part un accueil enthousiaste. Tous reconnaissent que les dispositions prises assurent le meilleur rendement possible de nos ressources. Aussi personne ne suggère la moindre objection ou modification. Mon projet semble jouir de la confiance unanime : il reste maintenant à jouer la partie.