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plaines qui se succèdent sans la plus petite ondulation ; on peut ainsi aller à sa guise, doucement, en flânant, s’arrêter là où le pittoresque du site vous plaît davantage, sans être hanté sans cesse par la frénésie du « toujours plus vite », qui est une des plaies de l’automobilisme.

Cette matinée de printemps est exquise et ce décor de Moyen âge, évoque le doux poète Charles d’Orléans, car le temps

s’est vestu de broderye
De soleil raiant, cler et beau.
Il n’y a beste ne oiseau
Qui en son jargon ne chante ou crye

et les fines pointes des roseaux de Camargue, humides de rosée nocturne

Portent en livrée jolye
Goultes d’argent d’orfavrerie.

La route suit d’abord le canal d’Aigues-Mortes, avec, sur la gauche, de grands pins qui embaument, puis elle bifurque vers l’est à peu près au point où la tour Carbonnière, en sentinelle avancée, domine la plaine. La tour carrée ferme la route de Nîmes ; il fallait même jadis traverser sa grande porte cintrée pour continuer son chemin ; aujourd’hui la route, séparée des marais voisins par un long parapet, la contourne ; la tour se trouve ainsi placée au centre d’un rond-point d’où son architecture altière, contemporaine des fortifications d’Aigues-Mortes, dresse son noble profil sur l’horizon bleu. Toute droite, entre des haies de tamaris, la route pique vers le petit Rhône, abandonnant la région des étangs pour la région des vignes et des cultures ; à l’horizon quelques bouquets d’arbres vigoureux indiquent les rares mas. Après plusieurs kilomètres, un hameau, le premier depuis Aigues-Mortes, aligne au bord du chemin quelques modestes demeures ; à proximité, les constructions neuves et opulentes du moderne château de Montcalm, forment un contraste assez singulier avec l’aspect général du pays. Une automobile passe en trombe à nos côtés, c’est le premier véhicule que nous rencontrons depuis le matin, ce sera le dernier jusqu’aux Saintes. La route s’infléchit vers le sud, dans la direction de Silveréal qu’elle atteint bientôt.

La bourgade est située à la pointe du delta de la petite Camargue, borné par le petit Rhône et le canal de Peccaïs. La petite Camargue, nommée le Sauvage dans le pays, est une vaste contrée à peu près déserte, formée d’étangs qui descendent vers la mer et de pâturages qui sont le principal séjour des sauvages taureaux noirs. C’était la patrie d’Ourias, le farouche prétendant de Mireille. Comme toute cette région a été divinement décrite par Mistral, comme il l’a aimée et connue dans ses moindres détails le poète de Maillane ! Il faut la parcourir ses œuvres à la main, Mireille surtout où il semble qu’il ait mis le meilleur de son talent de descriptif réaliste et si poétique pourtant.

CANAL DU GRAU DU ROI. LA PÊCHE AU GLOBE (page 281).

De Silveréal nous gardons le souvenir d’un frais rideau d’arbres sur les rives du Rhône, d’un pont de bateaux très pittoresque où nous demeurons quelque temps, le soleil sur nos têtes et à nos pieds l’eau grise, qui semble bien pressée de rejoindre la mer ; dans la campagne immédiate, les mas sont plus nombreux, chacun d’eux paraît une île dans cette région dénudée, ou s’inclinaient naguère au souffle du mistral d’immenses et ténébreuses forêts ; ils offrent au promeneur une série de tableaux très champêtres, presque bibliques.

À cette époque printanière, les oiseaux chantent au bord des nids ; de jolies envolées de mésanges bleues animent les tendres feuillages des oliviers et nous remettent en mémoire les adorables vers du chant II de