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à descendre les innombrables escaliers, à passer sous quelques-uns des cent vingt-quatre vomitoires qui assuraient l’évacuation rapide des spectateurs. La vue de l’arène proprement dite nous a quelque peu déçus ; la restauration des gradins est trop complète, la pierre est trop neuve, d’immenses mâts auxquels sont suspendus des globes électriques achèvent de supprimer toute illusion ; on a trop la sensation du côté utilitaire qui a dicté ces aménagements, on pense trop aux modernes spectacles qui se déroulent dans le cadre du vieux monument, aux courses espagnoles ou landaises : on fait subitement un bond en avant de 1 800 années et la poésie n’y gagne rien.

Nîmes possède d’autres monuments de l’époque romaine : une porte, dite d’Auguste, la principale des dix portes qui donnaient ouverture dans l’ancien mur d’enceinte ; un temple, dit de Diane, dont il ne reste qu’un amas de débris sans intérêt et qui voisine avec d’anciens thermes un peu mieux conservés ; mais, après la visite des Arènes et de la Maison Carrée, ces monuments ne sauraient longtemps retenir l’attention. Il en va différemment, toutefois, de la Tour Magne. Celle-ci, antique tombeau ou simple tour de défense comprise dans l’enceinte romaine, impose par sa masse, bien réduite cependant puisqu’elle atteignait jadis une hauteur de 60 mètres. Et puis, elle a pour elle une situation incomparable au sommet du mont Cavalier, et cet avantage encore que, pour y parvenir, on doit traverser le Jardin de la Fontaine.

Le Jardin de la Fontaine c’est toute une évocation de fraîcheur exquise, d’eaux limpides, de colonnettes légères baignant leurs pieds dans du cristal, allongeant sur les bassins leur ombre oblique, de galeries qui courent avec grâce, de statues et de vases délicats ; à tout cet ensemble le beau style du xviiie siècle donne une très grande, une très noble allure. De vastes escaliers conduisent par leurs larges révolutions au parc du mont Cavalier ; on domine bientôt le Jardin, qui semble de là un petit Versailles, et où la célèbre source, au premier plan, monte du sol, claire et profonde. Sous les arbres touffus, dans l’ombre que, par endroits, le soleil ne parvient pas à pénétrer, on gagne la Tour Magne : du sommet de la ruine la vue s’étend à l’infini du Ventoux jusqu’aux Bouches du Rhône, sur la Camargue et sur la mer et, par les temps clairs, jusqu’aux Pyrénées, qui profilent dans les lointains extrêmes leurs ondulations indécises.

En quittant le Jardin on suit le quai de la Fontaine pour jouir quelque temps encore du miroitement de l’eau et l’on rentre dans la fournaise. La cathédrale Saint-Castor, d’aspect assez farouche, offre sous sa large nef romane une halte de fraîcheur relative. Quant à la Nîmes tout à fait moderne, exception faite pour l’Esplanade au milieu de laquelle resplendit, blanche dans l’azur, la fontaine monumentale si joliment décorée par Pradier, elle est d’intérêt fort médiocre et la population qui s’agite, en ce jour de dimanche, cherchant l’ombre des avenues, n’a ni le cachet ni l’allure de la population d’Arles.

ARLES. AU JARDIN DE LA VILLE.

La Provence sans le soleil est comme un corps que l’âme a quitté ; nous en faisons la pénible expérience en ce matin de printemps où le train nous amène dans la Rome gauloise. Et nous voulons par franchise et pour bien montrer l’antithèse avec les jours lumineux, transcrire ici, sans modifier une syllabe, les quelques lignes tracées à la hâte sur le carnet de voyage en pleine impression de désenchantement : « Sous un jour terne et un ciel orageux, Arles, en dehors de ses arènes et de Saint-Trophime, d’un puissant intérêt, n’offre au promeneur que des rues étroites, sales, en désordre, avec de désagréables cailloux pointus, une agglomération de maisons grises et vétustes sans grand caractère ; les Aliscamps sont une modeste promenade plantée, dénuée d’intérêt et le faubourg de Trinquetaille n’offre pas le moindre attrait. » Mais, au lendemain de ce jour morose, quand le soleil éblouissant s’est levé, répandant à torrents dans le ciel clair sa lumière