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géologie emportés à la demande spéciale de Wilson seront retrouvés avec nous ou sur notre traîneau.

Dimanche, 18 mars. — Aujourd’hui à déjeuner, nous sommes à 49 kilomètres du dépôt. La fortune nous est toujours contraire, mais elle peut devenir meilleure. Hier, le vent debout et le chasse-neige ont augmenté. Dans ces conditions, nous avons été forcés de nous arrêter. Vent de Nord-Ouest, force 4 ; température : −37°,2. Aucun être humain ne pourrait supporter pareilles intempéries : nous sommes épuisés.

J’ai perdu presque tous les orteils du pied droit. Pour avoir ajouté une petite cuillerée de poudre de cari à mon pemmican, je souffre d’une violente indigestion. Toute la nuit, les douleurs m’empêchent de dormir. Bowers est le plus solide de tous ; mais la différence n’est pas grande avec les autres. Mes camarades gardent encore – ou prétendent garder encore – bon espoir. Nous avons rempli à moitié la lampe Primus, la provision de pétrole est épuisée et il ne reste plus qu’une très petite quantité d’alcool : c’est notre dernière ressource. Le vent est bon ; peut-être va-t-il faciliter notre marche. À l’aller, l’étape que nous venons d’effectuer aurait semblé ridiculement courte.

Lundi, 19 mars. — Hier soir le montage de la tente a été très pénible. Nous avons souffert horriblement du froid jusqu’après le dîner, composé de pemmican froid, de biscuit et d’une demi-casserole de cacao cuit sur l’alcool. Ensuite nous nous sommes réchauffés et avons tous bien dormi. Aujourd’hui comme d’habitude, départ pénible, le traîneau effroyablement lourd. Nous sommes à 27 kilom. 6 du dépôt : en trois jours nous devrions y arriver. Combien lente est notre allure ! Nous avons encore deux jours de vivres, mais à peine un jour de combustible. Tous nous avons les pieds en piètre état. Wilson est le moins éclopé. Mon pied droit est très mal en point, mais le gauche est bon. Impossible de nous soigner jusqu’à ce que nous puissions absorber des aliments chauds. L’amputation est l’éventualité la plus favorable que je dois envisager. Le mal va-t-il s’étendre ? Le temps ne nous apporte aucun avantage. Le vent passe du Nord au Nord-Ouest. Température : −40°.

Mercredi, 21 mars. — Lundi soir nous sommes arrivés à 20 kilomètres du dépôt. Toute la journée, hier, un violent blizzard nous a immobilisés. Aujourd’hui perdu tout espoir ; Wilson et Bowers vont partir chercher du combustible au dépôt.

Mardi, 22 mars et 23. — Blizzard plus violent que jamais. Wilson et Bowers hors d’état de se mettre en route. Demain, dernière chance ! Plus de combustible et un ou deux jours de vivres seulement nous restent. La mort doit être proche. Nous avons décidé de ne pas hâter sa venue. Nous marcherons vers le dépôt avec ou sans notre matériel et nous mourrons sur la trace.

LA TOMBE DE SCOTT, WILSON ET BOWERS SUR LA GRANDE BARRIÈRE.

Mardi, 29 mars. — Depuis le 21, tempête constante du Sud-Ouest. Le 20, nous avions du combustible pour préparer six tasses de thé et des vivres pour deux jours. Nous nous sommes tenus prêts à partir pour le dépôt, distant de 20 kilomètres, mais toujours d’épais tourbillons de neige chassés par la tempête. Maintenant, tout espoir doit être abandonné. Nous tiendrons jusqu’à la fin, mais nous nous affaiblissons graduellement ; la mort ne peut plus être loin.

C’est épouvantable, je ne puis en écrire plus long. — R. Scott.

Pour l’amour de Dieu, occupez-vous des nôtres.