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Le glacier situé devant nous est très escarpé ; sur une courte distance, il s’élève d’au moins 600 mètres. Réflexion faite, nous tenterons l’escalade sans doubler les attelages. Les chiens ont déployé une telle vigueur que, suivant toute probabilité, ils accompliront ce nouvel exploit. Quoique avançant lentement, ils gagnent du terrain. Lorsqu’ils paraissent vouloir s’arrêter, il suffit d’un encouragement et d’un claquement de fouet pour les remettre en route. Nous arrivons ainsi à un col. Une fois là-haut, la meute se repose, tandis que nous contemplons le panorama. Au delà de la brèche s’étend une petite « plate », large de quelques mètres, au-dessus d’une pente rapide aboutissant à une vallée. Droit devant nous, en plein sud, s’élèvent l’énorme chaîne Fridtjof Nansen, et un peu plus loin la crête Don Pedro Christophersen ; ces deux reliefs sont séparés par un puissant glacier qui s’élève par étages. Il est terriblement disloqué ; il sera cependant possible de passer entre les zones crevassées. Celte vallée nous conduira loin, mais elle ne nous amènera pas au but. Entre le premier et le deuxième étage, le glacier est rendu infranchissable par une énorme cascade de séracs ; heureusement, le long des montagnes un « replat » permettra de contourner cet obstacle. Nous élevons ici un grand cairn, puis relevons les principales montagnes en vue. Avant de commencer la descente, je retourne au col jeter un dernier regard sur la Barrière. La chaîne que nous avons découverte et qui ferme cette immense nappe de glace, incline dans l’est-nord-est, pour disparaître au nord-est vers le 84° de latitude. Les apparences du ciel indiquent qu’elle doit se prolonger au delà de ce parallèle.

La plate au delà du col se trouve à l’altitude de 1 200 mètres. La pente est rapide. Sur une telle déclivité, avec des traîneaux chargés, la plus grande prudence est nécessaire ; si les véhicules s’emballaient, les chiens pourraient être tués ou blessés, et leurs conducteurs exposés à quelque accident fâcheux, sans compter que les traîneaux seraient avariés. À chaque descente de ce genre, nous freinons au moyen de cordes garnies de pointes et enroulées autour des patins. Cette première pente nous amène dans une large vallée, à 250 mètres plus bas ; après cela, nouvelle ascension sur deux glaciers très escarpés. La montée du second a été la plus dure de tout le voyage. Pour en venir à bout, il devient nécessaire de doubler les attelages. Les progrès sont naturellement très lents ; seulement au prix d’un long et pénible effort, nous parvenons au sommet de cette déclivité, haute de pas moins de 360 mètres. Là, nous nous trouvons à l’altitude de 1 320 mètres, sur une petite plaine. Après avoir laissé souffler les chiens, en route de nouveau.

Jusqu’ici les montagnes les plus rapprochées nous ont masqué le terrain en avant. À mesure que nous avançons, nous distinguons plus complètement la route que nous allons suivre. Elle est formée par un énorme glacier qui rejoint la Grande Barrière, en passant entre la crête Fridtjof Nansen et la chaîne Don Pedro Christophersen. Par cette grandiose nappe de glace, à laquelle nous donnons le nom d’Axel Heiberg, nous comptons gagner le plateau supérieur. Pour atteindre ce glacier, nous sommes encore obligés de redescendre. Du point où nous nous trouvons, les petites nappes de glace que nous devons suivre paraissent très crevassées ; donc, avant de nous engager sur cette pente, nous allons reconnaître le terrain. Tout bien examiné, avec de la prudence et en freinant vigoureusement, le passage est praticable.

POINTEMENTS ROCHEUX AUX ENVIRONS DU GLACIER AXEL HEIBERG.

Dans l’après-midi, après quelques culbutes sans conséquences fâcheuses, nous atteignons l’Axel Heiberg. Par sa vallée, nous allons pousser jusqu’à la chute de séracs engendrée par l’étranglement du glacier entre les chaînes Fridtjof Nansen et Don Pedro Christophersen. Un morceau singulièrement plus rude que nous ne l’avions supposé ! D’abord la distance est trois fois plus grande qu’elle ne le paraissait ; ensuite la neige est si molle que les chiens peuvent à peine se mouvoir. Quoi qu’il en soit, nous avançons.

Les versants de la vallée que remplit l’Axel Heiberg sont couverts de glaciers suspendus qui s’unissent à la nappe principale. Le soir venu, nous campons à la jonction d’un de ces appareils secondaires au pied du